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boutroux. — zeller et l’histoire de la philosophie

phie, n’hésite pas à dire[1] : « Ich musste also das Wissen aufheben, um zum Glauben Platz zu bekommen ? »

En dépit des efforts d’un Spinoza et d’un Hegel, la philosophie n’a nullement atteint, même chez eux, cette précision, cette clarté, cette rigueur de déduction, cette forme abstraite exclusive des images et des métaphores, qui caractérise les expositions scientifiques.

Ces objections que fait la raison vulgaire à la philosophie considérée comme science, ne sont-elles que les sophismes de l’esprit léger et paresseux, qui, pour se dispenser de chercher la vérité, retourne contre elle, soit l’insuffisance de ses interprètes, soit même la contradiction qu’elle rencontre de la part de l’erreur ? Certes, la diversité des systèmes, en ce qui concerne l’histoire de la philosophie, ne saurait, non plus que l’obscurité des philosophes, suffire à prouver que la philosophie n’est pas une science. Il y a du moins lieu de soumettre la question à l’examen, et de voir si la thèse qui fait de la philosophie une science se concilie avec les conditions essentielles de l’histoire de la philosophie et de la philosophie elle-même.

Or la thèse dont il s’agit a pour premier inconvénient de détruire l’intérêt de l’histoire de la philosophie. Qui s’inquiète aujourd’hui de la manière dont Euclide démontrait les éléments de la géométrie ? qui songerait à étudier la mécanique céleste dans Newton, la chimie dans Lavoisier ? En matière scientifique, on n’a recours aux ouvrages dès inventeurs que si l’on espère y trouver quelque indication non encore exploitée par les successeurs. Quant aux portions qui sont du domaine public, c’est chez les savants les plus récents que l’on en cherche l’exposition ; et le vulgarisateur moderne le moins original sera, à cet égard, préféré à Newton. Si la philosophie est une science, elle est toute dans les systèmes actuels, dont les systèmes antérieurs ne sont que les informes ébauches ; connaître la philosophie actuelle, c’est, à fortiori, connaître tout ce qui, dans les philosophies passées, mérite d’être connu.

Dira-t-on qu’il faut effectivement renoncer à étudier la philosophie dans Platon ou dans Aristote, mais que l’histoire de la philosophie n’en conserve pas moins son intérêt à titre d’histoire de l’esprit humain ?

Cette opinion n’est pas aussi plausible à l’égard de l’histoire de la philosophie qu’elle peut l’être en ce qui concerne l’histoire de la physique ou de l’astronomie. Ces sciences, en effet, ont pour objet

  1. Kant. Krit.d. r. Vern., Vorrede. 2me Ausg.