soutenir du dehors. C’est ainsi que Kant conçoit sa liberté intelligible, Aristote son premier moteur.
On peut s’interdire cette hypothèse pour s’en tenir aux faits et à l’expérience ; mais, de bonne foi, est-ce la peine de la rejeter pour la remplacer par une autre, aussi métaphysique, aussi peu vendable et beaucoup moins en règle avec la critique ? C’est pourtant ce que fait. M. Béraud. On connaît l’augmentation spiritualiste qui nie l’éternité du monde en se fondant sur l’impossibilité d’un infini à la fois réalisé et en voie de se faire. M. Béraud la trouve inattaquable et répond que le mouvement seul est éternel, que le changement a commencé et finira. Il admet l’hypothèse d’un temps où le mouvement durait identique dans les atomes indépendants, et la cause première à laquelle il s’arrête est « le mouvement initial dont ils étaient doués avant de se rencontrer » pour produire le Cosmos.
On reconnaît l’hypothèse où aboutit toute explication scientifique qui, pour être complète, entre dans l’absolu, fermé d’abord à grand bruit, et se fait métaphysique à son tour. Ne voyons-nous pas le positivisme aboutir à l’étrange conception d’un homogène indéfini qui passerait de lui-même a l’hétérogénéité définie, par l’effet d’une nécessité interne et sans l’intervention d’une spontanéité, qui dépasserait l’ordre naturel ? M. Béraud reproche au spiritualisme de considérer la matière isolée de la force et de diviser l’indivisible : ne tombe-t-il pas lui-même dans cette faute ? Qu’est-ce que le mouvement sans le changement ? Avons-nous idée de celui-là sans celui-ci ? Le passage du mouvement identique au mouvement divers, comme celui de l’homogène à l’hétérogène, est proprement pour la pensée le passage de rien à quelque chose. Sans doute la question de cause ne se poserait pas pour un monde identique, homogène ; car cette question, comme toute autre, n’a de sens que dans un monde pensable, c’est-à-dire dans un monde qui change, et devant l’immobile, au moins apparent, la pensée demeurerait immobile elle-même. Mais, ce qui veut être expliqué, c’est le changement. Or, un premier changement est impossible dans la causalité naturelle ; ce premier changement serait quelque chose de nouveau, un miracle, une vraie création. La science ne saurait donc s’arrêter dans la série des changements : elle n’admet pas plus la doctrine d’un chaos primitif que celle d’une création une fois faite. Ce qu’elle veut, c’est le Cosmos éternel. Mais il faut s’entendre sur cette éternité : il ne s’agit point ici d’une réalité transcendante, mais du monde que la pensée explique et porte en elle. Ce qui est éternel, c’est, à vrai dire, le mouvement régressif de l’esprit à travers les causes. C’est une sorte d’éternité rétrograde, non pas donnée, mais en voie de se faire. Dès lors les difficultés au sujet d’un infini qui à la fois est fait et se fait, disparaissent. Dans le moment présent, non-seulement le monde n’a pas révolu son éternité, mais il la commence, et la pensée la lui fait pièce à pièce, en remontant, sans l’épuiser jamais, la série de ses états. L’infinité du monde est si peu celle d’un tout absolu, qu’elle est au