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ni des imitations ni des interjections. Des interjections comme peuh ! des imitations comme oua-oua (aboiement du chien) sont exactement le contraire d’une racine. Leur son est vague et variable et leur sens spécial, tandis que, dans les racines, le son est défini et le sens général. Néanmoins les interjections et les imitations sont les seuls matériaux possibles avec lesquels le langage humain ait pu se former et par conséquent il s’agit de savoir comment, en partant des interjections et des imitations, nous pouvons arriver aux racines. Si nous rendons compte de ce passage, nous aurons fait tout ce que le sceptique le plus exigeant peut demander. Car d’une part l’analyse de toutes les langues connues nous ramène aux racines, et d’autre part l’expérience nous donne les interjections et les imitations comme le seul commencement imaginable de la parole humaine. Si ces deux termes peuvent être reliés, le problème est résolu. »

« Remontons encore une fois aux premiers commencements de la connaissance conceptuelle ; car c’est là que la clef doit se trouver si elle est quelque part. Le plus simple concept est celui qui consiste à réunir deux choses en une seule ; ce concept peut être formé de deux manières, par combinaison ou abstraction.

« Si nous avons un mot pour père et un mot pour mère, alors pour exprimer le concept de parents, nous pouvons réunir les deux mots. En fait c’est ce que nous trouvons en sanscrit ; pitar y signifie père, mâtar mère, mâtâpitaran mère et père, c’est-à-dire parents. De même en chinois, signifie père, mère, et fù-mù parents. Pareillement en chinois un bipède avec des plumes s’appelle kin, un quadrupède avec du poil shen, et les animaux en général kin-shen.

« Mais il est clair que cette addition de mots à la suite les unes des autres ne pourrait pas être prolongée à l’infini ; autrement la vie deviendrait trop courte pour achever une phrase. Nous pouvons nommer nos parents nos père et mère, fû-mû ; mais comment nommerions-nous notre famille ? — Ici la faculté d’abstraire nous vient en aide. Un cas très-simple nous montrera comment le travail de la pensée et du langage pouvait être abrégé. Aussi longtemps que les hommes désignaient les moutons seulement comme des moutons, et les vaches seulement comme des vaches, ils pouvaient très-bien indiquer les premiers par béé, et les seconds par mou-ou ; mais quand pour la première fois ils éprouvèrent le besoin de parler d’un troupeau, ni béé ni mou-ou ne pouvait servir. Tant qu’il n’y eut dans le troupeau que des moutons et des vaches, la combinaison béé-mou-ou suffisait ; mais, quand le troupeau ren-