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Ainsi, comme les deux autres, se trouve réfuté le troisième postulat des philosophes dogmatiques.

Si l’erreur est le résultat d’un acte de généralisation, autant affirmer que l’erreur n’est possible que chez un être capable de raison. Errare humanum est. C’est ce que démontre M. Brochard dans son chapitre sur les conditions logiques de l’erreur. Il fait plus, et montre en quelques pages comment il serait possible de ramener à l’unité les classifications des erreurs et des sophismes proposées par les différentes philosophes. Tout sophisme est un sophisme de généralisation. Par où l’on voit que l’explication de l’erreur qui vient d’être proposée remplace avec avantage les anciennes explications des erreurs. C’était un point en apparence accessoire, en réalité important à établir : M. Brochard a bien fait de ne pas l’omettre, il eût mieux fait de le traiter avec plus de développements. L’occasion s’offrait à lui de faire la preuve de sa thèse ; nous aurions aimé qu’il en profitât avec moins de discrétion.

On sait que la faculté de croire ou d’adhérer à une synthèse mentale est indépendante de l’entendement. En présence du vrai, comme en présence du faux, alors qu’aucune raison d’ordre intellectuel ne peut nous inviter à suspendre notre adhésion ou à la refuser, d’autres raisons d’un autre ordre nous y sollicitent, et là sont les causes psychologiques de l’erreur. Ici, l’auteur insiste sur l’influence du sentiment. En aucun cas nous dit-il, on n’est fondé à soutenir que le sentiment seul est l’auteur de nos croyances ; si le cœur a ses raisons à lui, la raison les connaît toujours. En aucun cas on n’est autorisé à prétendre que la raison opère seule et sans le concours du sentiment et de la volonté. Toujours et partout, les trois fonctions psychiques interviennent, et la collaboration des trois facultés ne souffre pas d’intermittence. Nous signalons au lecteur cette partie, l’une des mieux étudiées et des plus finement écrites du livre. L’auteur s’y est manifestement inspiré d’un beau chapitre du Deuxième essai de critique générale de M. Renouvier. C’est du reste de M. Renouvier qu’il procède, et sa dialectique est, en général, conforme à celle de notre grand logicien contemporain.

M. Brochard termine son étude par un résumé de sa métaphysique, de celle qui à ses yeux peut seule rendre possible l’existence de l’erreur. Ce chapitre sur les causes métaphysiques de l’erreur n’est pas un hors-d’œuvre. En effet, il nous a été montré dans les chapitres consacrés à Platon, à Descartes, à Spinoza, que si nul d’entre eux n’a réussi à expliquer l’erreur, c’est en raison même des principes métaphysiques qui leur sont communs à tous trois. L’ancienne métaphysique est toujours, au fond, celle de la nécessité. À celle-là s’en oppose une autre, la métaphysique de la contingence. Ici encore, M. Brochard se rencontre avec M. Renouvier, et nous retrouvons dans ses dernières pages un acte d’adhésion formelle, à la doctrine qu’exposait, il y a cinq ans et avec un talent incomparable, l’auteur de la Contingence des lois de la nature, M. Émile Boutroux. Même au sein du monde inorganique,