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miraculeuse, — nom qui surgit dans mon âme pendant le sommeil et dont, à son réveil, elle constate avoir perdu absolument la trace. Notons en passant la substitution du mot muralis, qui est latin, au barbarisme mur aria, consacré par la science. Ceci est le fait du philologue.

Il y a seulement deux ans que j’ai eu le mot de cet énigme. Au mois d’août de l’année 1860, deux jeunes mariés de mes amis rapportaient de la Suisse un de ces petits herbiers-albums que l’on vend dans ce pays. La jeune femme le destinait à l’un de ses frères, alors étudiant. Je m’offris à rendre ce cadeau plus instructif, et, sous la dictée d’un botaniste de ma connaissance, j’inscrivis à côté du nom de chaque plante, celui de la famille et de la classe à laquelle elle appartient. Ce fut là tout. Cette occupation, cela se conçoit, avait été "entremêlée de questions et de réponses sur les plantes et l’exposition qu’elles affectionnent. Seize ans plus tard, me trouvant à Bruxelles chez le frère dont il vient d’être question, mes regards tombent par hasard sur l’album ; je le reconnais, je l’ouvre, je revois mon écriture ; elle évoque dans mes souvenirs la circonstance que j’avais perdue de vue et l’asplenium de mon rêve ; je cherche, et je retrouve en effet la fougère de ce nom dans l’herbier. Ainsi, ce mot étranger, sur lequel mon attention s’était un instant arrêtée, et dont le souvenir, du moins on pouvait le croire, avait dû au bout de peu de temps s’éteindre tout à fait, avait marqué dans mon cerveau une empreinte, si légère fût-elle, suffisante pour lui permettre de reparaître un jour à la surface de ma conscience. Par là, on s’explique encore pourquoi, dans mon rêve, la plante se pulvérise si facilement sous mes doigts, et pourquoi aussi elle m’apparaît revêtue d’une couleur si sombre. Quant à la manière dont je caractérise cette couleur, il est bon que le lecteur sache que je suis daltonien.

Mais ce n’est pas tout. En novembre 1877, feuilletant un des volumes du Tour du monde, qu’un de mes parents, à qui je l’avais prêté, me rapportait, ma vue est tout à coup attirée par une gravure qui est la représentation exacte de la seconde partie de mon rêve. On y voit une forêt et des lézards en foule qui ont l’air de se précipiter tous dans une direction déterminée. Quelle était la date du volume ? Année 1861, deuxième semestre (page 35) ! Cette seconde édition d’un acte de mémoire si singulier m’a définitivement déterminé à raconter ce rêve, puis de fil en aiguille à m’occuper du sommeil.

Abonné au Tour du monde depuis sa fondation, c’est donc vers le mois de juillet de cette année 1861, c’est-à-dire plus d’un an avant mon rêve, que j’aurai lu le Vogage au Brésil de M. Biard, dont