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delbœuf. — le sommeil et les rêves

l’époque d’Alexandre ou de Marcellus, et compte de nouveau au nombre de ses gloires l’auteur de l’Organon ou l’inventeur de l’hydrostatique, toujours est-il qu’on ne pourrait voir en eux les mêmes individus que ceux dont ils auraient pris le nom, la figure et le génie. Or, si réellement l’état nouveau ne diffère en rien de l’état ancien, si réellement le monde est revenu au même point sans gain ni perte, tout ce qui s’est passé dans l’intervalle n’est qu’une suite d’effets sans cause ; le premier Aristote et le premier Archimède — si toutefois on peut dire qu’ils seraient les premiers — ont été tirés de rien. Si les fougères et les prêles doivent un jour recouvrir encore la terre de leur uniforme verdure, si les ichthyosaures doivent reparaître au sein des mers, et les iguanodons dans l’ombre des forêts, où serait la cause de la faune et de la flore primitives et de toutes les transformations que depuis elles auraient subies ? Toutes les choses étant remises exactement dans le même état, la série de ces transformations intermédiaires est le produit du néant ; c’est une véritable creatio ex nihilo.


Mais, va-t-on me dire, et les mouvements des corps célestes, et les oscillations pendulaires ? La course de la Terre dans l’espace jusqu’à ce qu’elle revienne au même solstice, l’abaissement et l’élèvement alternatifs du pendule, sont donc aussi des effets sans cause, des créations de rien ?

J’ai déjà indiqué des restrictions que comporte la conception d’une périodicité absolument régulière dans les révolutions des corps célestes. Mais j’aborde directement le cas du pendule. Je ne me retranche même pas — et j’en aurais parfaitement le droit — derrière cette réponse péremptoire, mais trop commode, que le pendule de la théorie est irréalisable, qu’il n’y a pas de milieu non résistant, de barre absolument rigide et inextensible, ni d’appareil de suspension capable de tourner sans frottement — non ! J’accepte le pendule idéal oscillant sans frottement, dans le vide absolu. Il descend et remonte jusqu’au même niveau. Mais ce mouvement a pris du temps. Dans la formule mathématique qui l’exprime, le temps figure comme une quantité abstraite qu’on désigne d’ordinaire par la lettre t. Cette désignation est vague, et vague est l’idée qui se cache sous elle. Ce temps est-il long, est-il court ? Nous n’en savons rien. Mais, quel que soit ce vague inévitable, une chose est certaine : c’est que le temps n’est pas une pure abstraction, c’est qu’il est quelque chose[1]. Or, s’il est quelque chose, il y a quelque

  1. Dans ma Logique scientifique, p. 276 et suiv., je démontre que le temps réel n’est pas une simple relativité.