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delbœuf. — le sommeil et les rêves

Cette conclusion est bien faite pour nous révolter ; et cependant tel est bien l’arrêt de la science actuelle, et comme disait Juvénal[1] :

Quod modo proposui, non est sententia : verum est ;
Crédite me vobis folium recitare Sibyllæ.

« Ce n’est pas là un texte à déclamation : c’est une page de la Sibylle. »

Ah ! nous avons beau savoir que nous sommes, en tant qu’individus, destinés à disparaître tôt ou tard, et que ceux qui viendront après nous n’auront comme nous qu’une vie éphémère, la science a beau nous montrer que les espèces elles-mêmes ont une existence limitée, qu’elles viennent briller un instant à la surface du globe, puis s’éteignent sans retour, nous ne nous résignons pas facilement — et pourtant que nous en chaut-il ? — à la pensée que l’humanité puisse être anéantie, et avec elle la Terre, le Soleil, le système planétaire, notre nébuleuse et toutes celles qui remplissent l’immensité. Peut-être, après tout, cette horreur de l’éternel silence, pour lequel cependant des philosophes voudraient nous inspirer de l’amour, est-elle fondée dans la nature des choses. Peut-être un examen plus rigoureux de l’essence de la force et de la pensée nous ferait-il puiser des motifs de courage, de consolation et d’orgueil dans ce qui semble bien propre à nous pénétrer de terreur, de désespoir et d’humiliation.

Concluons. Il y a dans la nature quelque chose qui disparaît, et disparaît sans retour. Je veux bien que ce ne soit ni la matière ni la force ; mais c’est quelque chose, à première vue, de plus précieux que la force même, c’est la faculté pour elle de se transformer. Car, s’il ne devait plus y avoir dans l’univers que l’immuable, en quoi se distinguerait-il du néant ? Tout changement a pour effet de faire passer la force de l’état transformable à l’état intransformable ; il consomme donc delà transformabilité. La transformabilité s’épuise peu à peu, et, avec elle, la cause générale du changement. Or, à cet égard, il est naturel de se demander si cette cause ne mériterait pas à plus juste titre le nom de force ; et, si l’on y voit — ce qui paraît rationnel — la force véritable, est-il vrai de dire que la force est indestructible, et, dans tous les cas, que rien ne se perd dans la nature ?

Ces considérations générales étaient indispensables à mon sujet. Il était bon de voir le pays à vol d’oiseau, pour se faire une juste idée du chemin que l’on se dispose à parcourir. Il me reste maintenant, en vue de l’objet de mon étude, à préciser davantage le caractère

  1. Sat. VIII, 125 et 126.