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delbœuf. — le sommeil et les rêves

raides qui y avivent le tact dans un but facile à saisir. Or il ne faudrait pas regarder l’extrémité libre de ces poils comme appartenant à la périphérie. Ils en sont uniquement les avant-postes. Voyez l’araignée au centre de son réseau. Elle a une patte posée sur chacun des rayons qui le soutiennent. Un insecte tombe dans le piège, et à l’instant l’animal, par l’intermédiaire du fil touché, a deviné où est la proie. Ces fils sont les prolongements artificiels de ses pattes. La périphérie réelle commence-t-elle aux pattes ? Cela ne serait pas impossible, mais cela n’est pas. Les pattes ne sont elles aussi, que des organes explorateurs qui, à la façon du bâton de l’aveugle, peuvent, grâce à leur longueur et à leur mobilité, tâter le terrain dans tous les sens, et qui ensuite viennent rendre compte au quartier général du résultat de leurs investigations. À quelle profondeur commence exactement la périphérie ? Ce serait aujourd’hui impossible à dire ; mais certainement elle ne s’étale pas à la surface du corps. Peut-être a-t-elle son siège à la couche superficielle du système nerveux central, peut-être autre part. L’œil même n’est pas un organe périphérique. Ce n’est qu’une espèce de corps avancé dont le rôle est de faire parvenir des signaux au centre de la place. On peut avoir perdu la vue depuis longtemps et conserver la faculté de se représenter les perspectives, les couleurs, la lumière et les ombres.

Les organes sont pour nos sens des auxiliaires, à la façon de nos instruments de physique[1]. Rigoureusement parlant, les thermomètres, les baromètres, les électromètres, les boussoles, les télescopes, les microscopes, les spectroscopes, ne suppléent pas une imperfection des sens, mais une imperfection de ces auxiliaires. Le télescope ne rend pas notre vue plus perçante ; son action se borne à concentrer plus de lumière dans l’œil. Le bâton de l’aveugle, la sonde du chirurgien, n’activent pas le sens du toucher ; ils servent uniquement à lui faire parvenir de plus loin les indications utiles ; ils allongent le bras ou la main. On peut dire de la même façon que la toile de l’araignée est un prolongement du corps de l’insecte. Et quand le télégraphe nous transmet instantanément, des différents points du globe, la température, la pression, la direction du vent, l’état du ciel, c’est comme si nous avions tissé autour de nous un immense filet dont tous les fils aboutiraient à nos mains.

Il faut donc distinguer la périphérie sensible de l’écorce superficielle qui sert à la fois à la protéger et à lui transmettre, en les renforçant et en les dirigeant, les mouvements du dehors. Peu importe

  1. Voir ma Théorie générale de la sensibilité, p. 75 et suiv.