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delbœuf. — le sommeil et les rêves

rieures. En apparence aussi, il détruit la substance nerveuse qui entre dans la composition de son œil, de son nerf optique, de son encéphale ; en réalité, il l’immobilise ; elle était libre, en ce sens qu’elle pouvait être appliquée à la lecture d’un roman, à la contemplation d’un paysage, d’une statue, d’une peinture, à des études microscopiques ; elle est maintenant fixée, la voilà devenue philosophe, et elle n’est plus propre à rien autre. Elle est enlevée de la place qu’elle occupait et mise au dépôt où elle pourra un jour être reprise. Une substance nerveuse plus fraîche va lui succéder et recevra bientôt, elle aussi, sa destination. Les recherches récentes sur la matière optique de la rétine donnent à ces métaphores un caractère vivant d’exactitude. Ainsi, détachée du fond de mon œil, s’était déposée quelque part en moi et à mon insu l’image du nom de l’Asplenium.

Où l’organisme trouve-t-il de quoi suppléer sans cesse des substances nouvelles pour remplacer celles dont il a fait usage ? Dans sa nourriture, qui lui est fournie par le monde qui l’entoure et surtout par d’autres organismes. Selon toutes les probabilités, il choisit précisément celles qui présentent des affinités avec sa propre substance, et c’est pour cette raison qu’il peut se les assimiler. Cependant, quelque grandes que soient ces affinités, l’assimilation ne peut jamais être totale, et, partant, la nutrition comprend nécessairement une fonction qui élimine tout ce qui n’est pas assimilable. L’élaboration des éléments étrangers n’est pas et ne peut pas être instantanée. Ils opposent des résistances provenant de vieilles habitudes, résistances que l’être, lorsqu’ils sont absorbés, doit briser dans ce qu’elles manifestent d’antipathique à sa propre nature. Il doit, en un mot, discipliner les forces visibles ou latentes susceptibles d’assimilation. Ce travail demande du temps ; et le résultat final est une coordination de forces auparavant indépendantes.

En écrivant ces lignes, j’ai, pour ainsi dire, encore sous les yeux, tant chez moi l’impression en a été vive, le spectacle de la transformation d’un être en un autre. J’avais l’œil au microscope, et je contemplais les mouvements lents et bizarres d’une amibe monstrueuse qui rampait à la recherche dune proie. Elle tirait, de sa propre substance gélatineuse, des bras informes qui se contournaient dans tous les sens, s’allongeant, se raccourcissant et changeant sans cesse leur point d’émergence. Tout à coup, une des nombreuses monades qui se roulaient sur elles-mêmes avec vivacité et étourderie dans le liquide où nageait le léviathan, s’engage dans une des cavités que présentait le corps de l’amibe ; à l’instant cette cavité se ferme, et voilà la bestiole prise. Elle était là enfermée comme dans un bassin sans issue, et elle en parcourait avec fièvre et angoisse les parois, qui allaient se