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veux dire que l’accroissement de calibre des organes nerveux ainsi exercés, et la multiplication des canaux accessoires ainsi pourvus d’un flot surabondant d’énergies nerveuses, conspirent à produire une volupté directe et immédiate. Ce plaisir résulte de l’acte seul de percevoir le rouge, non de ce que l’on reconnaît indirectement dans le rouge un symbole d’aliment. » (p. 228) Ainsi parle M. Grant Allen ; mais, en dépit de ces précautions, nul ne doute à la lecture de ces lignes qu’il n’ait dans l’esprit la pensée formelle de faire du plaisir visuel un plaisir dérivé des plaisirs sapides, et que les phénomènes esthétiques d’un sens ne se soient, selon lui, développés en connexion avec les phénomènes purement intéressés de l’autre sens. Il y a là un artifice dont la nature n’avait pas besoin. Si la lumière est agréable, si les couleurs vives nous plaisent, c’est sans doute parce que la lumière est utile à la vie et que, après elle, les couleurs dont l’intensité lumineuse est la plus grande produisent les effets les plus favorables sur notre organisme. Pour que la lumière ait suscité en nous un sens aussi complexe, aussi important que 1 œil, il faut qu’elle soit un agent qui intéresse profondément notre vie physiologique, comme elle intéresse déjà la vie des végétaux. J’oserais dire que ce ne sont pas les préférences des insectes pour les fruits dont notre goût de la couleur conserve la trace, mais bien plutôt les premières émotions des organismes rudimentaires, quand au travers des lourdes nuées le soleil commença à darder ses rayons sur le globe.

Pourquoi d’ailleurs les plantes auraient-elles choisi le rouge et le jaune, pour attirer les animaux, si le rouge et le jaune n’avaient pas eu quelque attrait pour eux ? Il était indifférent aux végétaux de parer leurs fleurs et leurs fruits de l’une ou de l’autre couleur ; si les choses se sont passées comme le dit M. Allen, et que les animaux aient opéré une sélection sur les couleurs des organes reproducteurs des végétaux, ce sont donc eux qui ont préféré les couleurs éclatantes à toutes les autres. Mais alors le goût pour ces couleurs a sa raison non plus dans les végétaux, mais dans les convenances de l’organisme animal. C’est à une affinité native de l’œil avec la lumière et les couleurs lumineuses que l’on revient en dernière analyse ; à quoi bon un si long circuit’? et pourquoi ne pas chercher tout d abord dans cette direction la raison du sens chromatique ?

Une affinité native n’est pas une explication, nous le savons ; c’est un fait, et probablement un fait irréductible. Mais il est plus scientifique de constater les faits irréductibles que de chercher à les expliquer. Quand on constate que l’œil qui voit, et ne peut voir que les objets éclairés, aime la lumière sans laquelle il ne peut exercer sa