Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome IX, 1880.djvu/205

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
195
espinas. — le sens de la couleur

cerne les fleurs, résiste à la critique. L’adaptation des fleurs aux insectes paraît démontrée. L’adaptation des fruits aux oiseaux et aux mammifères reste douteuse ; les pulpes peuvent servir à tout autre chose qu’à les attirer, soit à entretenir l’amande fraîche jusqu’à la chute du fruit, soit à lui préparer une sorte d’engrais quand le fruit une fois tombé à terre se corrompt, soit à un autre usage qui reste à déterminer. La couleur des enveloppes résulterait de la tendance justement remarquée par M. Allen qu’ont toutes les parties analogues des végétaux à s’écarter des tons verts. Des fruits sans pulpe colorée sont fréquemment transportés par les oiseaux , les glands du chêne entre autres qui sont semés par les geais en quantités telles que l’essence de certaines forêts en est renouvelée. La seconde proposition n’atteint qu’un très faible degré de probabilité. L’adaptation des insectes aux fleurs a porté sur leurs appareils buccal et digestif ; il ne sert de rien aux fleurs que les ailes des papillons soient éclatantes. Les insectes ternes leur rendent le même service. Il est également douteux : 1° que les oiseaux soient brillamment colorés parce qu’ils mangent des fruits ; 2° que, si les fruits sont pour quelque chose dans leur couleur, ce soit par leur coloration et non par leur composition chimique ; 3° que, parmi les objets qui composent l’environnement, ceux-là seuls agissent sur les téguments qui servent à la nourriture. L’incertitude est encore plus grande en ce qui concerne l’origine de la couleur chez les mammifères. Enfin la troisième proposition que le sens humain de la couleur est hérité de nos ancêtres arboricoles ne peut être acceptée que dans un sens bien plus général que ne le veut M. Grant Allen.

La question de la coloration dans le règne animal est donc encore assez obscure, et, loin de nous flatter de l’avoir éclaircie, nous ne songeons qu’à provoquer sur ce point de nouvelles recherches. Dans l’état actuel de la science, il n’est pas surprenant qu’un sujet aussi complexe et aussi vaste se plie difficilement aux premières vues générales sous lesquelles on tente de l’embrasser. D’autres poursuivront la tâche commencée par M.M. Darwin, Spencer, Wallace et Allen ; ils se serviront de l’immense quantité de faits recueillie par eux ; quelques-unes de leurs théories partielles ou leurs idées générales transformées passeront peut-être dans les ouvrages de leurs successeurs. Ce qui paraît le plus désirable pour le moment, c’est qu’on reprenne le sujet du point de vue psycho-physiologique et même du point de vue physico-chimique : il y a de ce côté un certain nombre de découvertes à faire sans lesquelles la solution du problème général restera au-dessus des plus vigoureux efforts.

A. Espinas.