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g. séailles. — philosophes contemporains

elle fait apparaître l’unité de la molécule ; dans la régularité des combinaisons atomiques et des formes cristallines, elle entrevoit la possibilité d’une harmonie plus complexe à laquelle elle aspire : c’est la vie ; après avoir tressailli dans les obscures sensations de la plante et de l’animal rudimentaire, elle poursuit son œuvre et concentre les rayons de la vie dispersée dans la lumière de la conscience ; elle devient l’âme humaine, elle se voit elle-même, et son œuvre, et ses lois, et dans le dédain des réalités imparfaites, dans l’inquiétude des aspirations plus hautes, elle retrouve le pressentiment du monde meilleur qu’elle doit enfanter[1].


IV


Comprendre, c’est repenser la pensée d’autrui, c’est par sympathie imaginer en soi les mêmes besoins et les satisfaire par les mêmes solutions. Avec M. Vacherot, la tâche est difficile. Sa pensée a des surprises et des détours imprévus. Il n’a pas une philosophie ; il a plusieurs philosophies parallèles, et quand il passe de l’une à l’autre, il a la faculté d’oublier celle qu’il quitte et de prendre cet oubli pour une conciliation. Après avoir exposé cette œuvre complexe, cherchons à démêler ses éléments, à discerner les idées qu’elle combine ou mieux qu’elle juxtapose.

Durant les longues années de méditation solitaire, où il rêvait, en conciliant la métaphysique et la science et en concentrant toutes les vérités relatives des systèmes du passé dans un système plus compréhensif, de donner sa conclusion au grand travail historique et scientifique du xixe siècle, M. Vacherot a dû avoir des heures de grande clarté, où, dans l’espérance de porter en lui l’œuvre attendue, il trouvait la sérénité des résolutions définitives. Nous avons un témoignage éloquent de ces heures de hardiesse et de précision, où, à grands traits, dans l’élan d’une causerie passionnée, achevant de créer sa pensée en l’exprimant, il traçait l’ébauche de la philosophie nouvelle. — Il n’y a pas deux mondes, le monde intelligible et le monde réel, deux mondes séparés, dont l’esprit doive s’épuiser en vain à saisir le rapport. Il n’y a qu’un monde, le monde réel ; la vérité y est contenue, il s’agit de l’en dégager. La vérité est dans l’esprit comme une statue, qu’indiqueraient les veines du marbre, disait Leibniz ; il faut dire : La vérité est dans le monde, l’esprit est l’artiste qui l’en dégage. Donc un seul objet à connaître : le monde, pour connaître cet objet un esprit qui en extrait les éléments intelli-

  1. T. III, p. 328-359.