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Reste une dernière objection de la science, et une dernière erreur. L’homme, assure-t-on, ne peut connaître les causes des phénomènes ; il ne fait qu’en constater les lois. La science ne s’aperçoit pas que c’est « rapporter tout au hasard et bannir de l’univers la conception de cause finale ». On a réfuté tant de fois le paradoxe de Hume qu’il est inutile d’y insister. D’ailleurs, en refusant à l’homme la connaissance des causes, la science « en arriverait bientôt au suicide moral ». En résumé, on peut toujours et à bon droit critiquer les métaphysiciens et leurs systèmes ; mais « critiquer la métaphysique est une aberration inconcevable. »

Dans le chapitre suivant, intitulé Grandeur de l’homme, M. Barthélémy Saint-Hilaire affirme l’immense supériorité de l’homme sur les animaux. C’est en vain que quelques savants de notre siècle prétendent combler l’abîme qui les sépare. « Triste spectacle que nous offre la science ! Mais il n’aura qu’un temps, et cette doctrine monstrueuse du transformisme sera vaincue dans l’avenir, comme elle l’a été plusieurs fois déjà dans le passé. Les savants devraient en croire les naturalistes, à leur tête Buffon, le plus grand de tous. Et Cuvier, « le Buffon du xixe siècle, n’est-il pas du même avis ? » L’antiquité, plus sage que nous, n’a jamais soulevé cette controverse déplorable. Platon, Aristote, les Stoïciens ont la plus haute idée de la grandeur de l’homme. Le transformisme a contre lui bien d’autres autorités. « Les poètes, même les plus légers, comme Ovide, célèbrent à l’envi la supériorité de l’homme comparé à toutes les créatures qui rampent sur la terre. » Enfin Pline et Sénèque ne tarissent pas sur ce sujet inépuisable.

La question n’est guère sérieuse ; il suffit à la philosophie pour réfuter le darwinisme de constater la présence de la loi morale dans l’homme. Prêtera-t-on aux animaux le discernement du juste et de l’injuste, la conscience du bien et du mal, les sublimités de la pensée, les triomphes magnanimes de la vertu ? C’est un outrage gratuit qu’on s’infligerait à soi-même. L’homme seul possède ces privilèges : de là pour lui la philosophie. Elle est l’effort individuel pour résoudre les questions que ces phénomènes, spéciaux à l’homme, soulèvent. Jamais l’humanité n’a renoncé à cette tâche, et jamais elle n’y renoncera. Elle l’accomplit librement et sans qu’une loi absolue préside à la production des systèmes. Il n’y a pas non plus de loi dans la succession des poètes. La poésie n’y perd rien ; de même la philosophie.

À cette heure ou son droit n’est plus contesté, le philosophe, instruit par les leçons du passé, doit être à la fois plus modeste que jamais et animé de la plus mâle assurance. « Pour peu qu’il interroge sa conscience, il y trouve, sous la conduite de Descartes, une force que nulle puissance au monde ne peut contraindre, le Cogito ergo sum…, et, sans se flatter, il peut se répéter avec le poète que la ruine de l’univers n’ébranlerait pas son cœur invincible. » L’axiome cartésien est désormais pour la philosophie une base inébranlable ; « elle a, quand elle le veut, un levier qui peut soulever le monde de la pensée et des