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mands. Il n’est guère possible de mieux dire comment tout esprit impartial doit étudier les systèmes et la filiation spirituelle des idées. Peut-être cependant l’emploi de cette méthode générale ne devra-t-elle pas exclure en pareille matière le concours de cette méthode expérimentale dont la critique historique et littéraire a tiré un si heureux parti de nos jours ; tout libre qu’il soit, le génie philosophique ne laisse pas d’être au moins en partie le produit de conditions extrinsèques ou intrinsèques bonnes à noter. Cette exégèse expérimentale ne s’applique, il est vrai, dans toute sa portée qu’aux moindres productions de la pensée spéculative, à celles de l’ère chrétienne et du moyen âge par exemple ; néanmoins les créations les plus originales n’y échappent point entièrement. M. Fouillée, pour laisser aux doctrines tout leur relief et sans doute aussi par nécessité de faire court, a préféré ne montrer que l’organisation interne de celles-ci, leur classement rationnel, leur degré de compréhension, conséquemment de vitalité.

L’ouvrage est divisé en quatre parties. La première a pour objet la philosophie ancienne ; l’auteur y passe rapidement en revue les doctrines de l’Inde, de la Chine, de la Perse, des Hébreux et des Celtes. La seconde, très étendue, comme il convient, est consacrée à la philosophie grecque : les spéculations originales de Héraclite, de Pythagore, des Eléates, de Socrate, de Platon, d’Aristote et des Stoïciens, y sont rendues avec un soin jaloux et une évidente sympathie. M. Fouillée s’est appliqué principalement, il nous en avertit, à « l’exposition des grandes doctrines et des principales vérités qu’elles contiennent ». Le moyen âge et la Renaissance forment une troisième partie : nul ne s’étonnera que les grands inventeurs du xvie siècle soient traités avec une admiration que ne sauraient leur disputer les docteurs de l’École. La « philosophie moderne », ou quatrième partie, s’étend de Descartes jusqu’à nous et comprend les plus récentes doctrines de l’Angleterre, de l’Allemagne et de la France. C’est peut-être la partie la plus attrayante du livre. La philosophie française du siècle dernier, que beaucoup omettent dédaigneusement, est replacée au premier rang. Cette philosophie sociale et politique est en effet, aux yeux de M. Fouillée, une des formes les plus importantes de la spéculation, celle qui donne un sens aux disputes métaphysiques en ramenant les conflits des opinions humaines à la solution d’un problème unique, le problème moral. C’est à ce point de vue que M. Fouillée interprète dans leur sens le plus libéral, mais avec la franchise d’un maître, les conceptions de Montesquieu, de Rousseau, de Turgot et de Condorcet sur l’origine de l’État, ses rapports avec l’individu, sur le droit politique et le droit naturel. Chacune de ces pages retient la pensée du lecteur, en lui découvrant sous chaque difficulté une conception injustement restrictive de la liberté morale.

M. Fouillée n’a point jugé nécessaire de nous résumer à part sa philosophie propre ; elle se laisse deviner dans toutes ses appréciations, et voilà pourquoi il nous est possible d’en indiquer du moins l’esprit.