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dont elle fait partie de manière à occuper la conscience, ne fût-ce qu’un instant, il se retrouve, qu’il le reconnaisse ou non, dans un état où il s’est déjà trouvé auparavant : les idées qui ont accompagné la sensation la première fois qu’elle s’est produite (supposons que ce soit en voyant de la neige) reparaissent d’une manière immédiate, automatique en quelque sorte. Elles font irruption dans la série des idées nouvelles que l’esprit est en train de former et s’y mêlent. À chaque instant, quoi que nous fassions, nous sommes sollicités par des associations de ce genre, suggérées par les diverses parties des idées qui nous occupent[1]. C’est de là que viennent les distractions. Il dépend de nous sans doute de repousser les intruses, de les faire disparaître en ne nous y arrêtant pas, d’étouffer dans leur germe les associations inutiles qui aspirent à se produire ; mais nous pouvons aussi, pour peu que nous y prenions d’intérêt, les laisser vivre : de là viennent toutes les comparaisons, tous les rapprochements ingénieux, brillants ou exacts, toutes les vérités et toutes les erreurs. C’est alors que, les idées d’autrefois étant présentes en même temps que les idées d’aujourd’hui, nous pouvons remarquer qu’elles sont semblables ou dissemblables. Mais, on le voit, l’aperception de la ressemblance ou du contraste ne survient qu’après coup. Elle n’est pas la cause, mais la conséquence de l’association. Les idées sont déjà associées par contiguïté au moment où nous nous avisons de remarquer qu’elles sont semblables, et leur ressemblance nous échapperait si la loi de contiguïté n’avait déjà fait son office. Il y a deux opérations distinctes dans cet acte qui paraît unique ; seulement, elles s’accomplissent si rapidement et nous sont si familières, qu’à moins d’une analyse minutieuse nous ne les distinguons pas ; l’habitude, ainsi qu’il arrive souvent, nous cache leur complexité, et comme, après tout, ce qui nous intéresse, c’est bien plus la ressemblance que la juxtaposition des idées, c’est elle qui donne son nom à l’opération totale. Il n’en reste pas moins vrai que le rapport de contiguïté précède toujours le rapport de similarité, et, à proprement parler, il n’y a d’associations d’idées que par contiguïté. Réduite à elle-même et dépouillée de ce qu’on lui prête par confusion, l’association des idées se borne à la reproduction pure et simple d’états antérieurs, tels qu’ils se sont produits dans le passé.

Il s’en faut de beaucoup que tous les cas où les concepts paraissent s’associer par similarité soient aussi simples que l’exemple que nous avons choisi. Il y a souvent entre les idées que nous déclarons semblables de longues séries d’intermédiaires qui nous amènent de l’une

  1. Voy. Taine, De l’intelligence, liv. IIII, p. 1, ch. I. V.