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v. brochard. — de la loi de similarité

celles qui doivent servir à son dessein. Mais, dans l’un et l’autre cas, elle n’échappe pas à la loi de contiguïté. Ce n’est pas une mystérieuse affinité des idées entre elles qui les suscite à point nommé ; elles ne reviennent que par couples ; l’esprit ne peut que s’imiter lui-même ; il doit à l’expérience non seulement les matériaux de sa pensée, mais les premières liaisons qu’il établit entre eux et qui servent à en établir d’autres.

On pourrait traduire ces propositions en termes de mécanique et probablement, plus tard, en termes de physiologie. — L’esprit a été plus d’une fois comparé à un clavier prodigieusement délicat ; on le comparerait mieux encore, semble-t-il, à ces instruments de musique, dont il suffit de mettre en mouvement le mécanisme pour qu’aussitôt se déroule dans un ordre prévu une série de sons nécessairement liés entre eux. Il faudrait ajouter encore que l’instrument, par suite de l’entrelacement des petites lames de cuivre, peut jouer plusieurs airs à la fois, tantôt sans produire autre chose qu’une cacophonie, tantôt, ce qui est la merveille de l’esprit humain, en faisant entendre une mélodie inconnue et nouvelle , formée d’une manière imprévue et originale de fragments diversement combinés des premiers airs[1].

« Il suffit, dit un physiologiste, qu’un certain nombre de cellules continuent à être en vibration pour devenir des centres d’appel pour d’autres agglomérations de cellules, avec lesquelles elles ont eu soit des affinités plus intimes, soit des moyens anastomotiques plus ou moins faciles : de là une série de reviviscences d’impressions passées dont nous ne saisissons pas bien le sens, mais qui cependant ont entre elles des connexions secrètes (mémoire inconsciente) ; de là une série d’idées imprévues et désordonnées, qui se succèdent sous les formes les plus bizarres[2]. » Malebranche avait déjà dit, et son maître Descartes aurait souscrit à ses paroles : « La cause de la liaison de plusieurs traces est l’identité du temps où elles ont été imprimées dans le cerveau, car il suffit que plusieurs traces aient été produites dans le même temps afin qu’elles ne puissent plus se réveiller que toutes ensemble ; parce que les esprits animaux trouvant le chemin de toutes les traces qui se sont faites dans le même temps entr’ouvertes, ils y continuent leur chemin à cause qu’ils y passent plus facilement que par les autres endroits du cerveau : c’est la cause de la mémoire et des habitudes corporelles qui nous sont communes avec les bêtes[3]. »

  1. Cf. Taine, Géographie et mécanique cérébrales (Revue philos., oct. 1878).
  2. Luys, Le cerveau et ses fonctions, ch. IV. Paris, Germer Baillière, 1876.
  3. Recherche de la vérité, II, 1re partie, ch. V.