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p. tannery. — thalès et ses emprunts a l’égypte.

Toutefois, il a été permis de constater que, ce point mis à par, les Grecs avaient fait, même en arithmétique, de notables emprunts aux Égyptiens ; si les papyrus déchiffrés jusqu’à ce jour ne renferment pas de traités de géométrie, il en est un, connu sous le nom de papyrus de Rhind et publié, il y a peu de temps, par M. Eisenlohr, qui contient un Manuel de calculateur certainement antérieur à la conquête grecque et remontant peut-être au xie siècle avant Jésus-Christ, sinon plus haut[1].

Cet ouvrage, spécialement consacré à des exercices relativement simples, ne peut certainement pas représenter le niveau supérieur de l’instruction mathématique à l’époque où il a été écrit. On y remarque cependant deux points importants transmis à l’école grecque :

1o L’usage de n’employer que des fractions ayant pour numérateur l’unité, à l’exception de la fraction ⅔ ;

2o La solution des problèmes arithmétiques du premier degré à une inconnue. Les problèmes traités sont tout à fait analogues à ceux que Platon (Lois, VII, 819) signale comme servant en Égypte à l’instruction des enfants, et dont on peut constater l’adoption ultérieure par les Grecs.

En ce qui concerne la géométrie égyptienne, les renseignements que l’on peut tirer de ce Manuel sont assez sommaires. On peut y noter une ébauche de l’application des proportions au calcul des dimensions des corps solides, ainsi que la racine (pir-e-mus) du mot pyramide[2]. Mais ce qui est le plus remarquable, c’est l’identité entre la forme générale de la rédaction des problèmes et celle qui est suivie dans les ouvrages géodésiques d’Héron, d’où elle a passé aux agrimenseurs romains, avec des procédés d’arpentage beaucoup moins perfectionnés que ceux des savants grecs, et des formules métriques approchées et parfois passablement inexactes. Ainsi l’aire d’un quadrilatère est mesurée par le produit des demi-sommes des côtés opposés.

Cette formule et d’autres aussi fausses se sont perpétuées en Europe, dans les traités élémentaires, jusqu’à l’époque de la Renaissance. Nous aurions donc tort, ainsi que nous l’avons déjà dit, de les regarder comme acceptées par les représentants réels du savoir égyptien. Toutefois, elles ne donnent pas, en fait, une haute idée des connaissances que possédait la moyenne des arpenteurs sur les

  1. Voir la note de M. L. Rodet dans le Bulletin de la Société mathématique de France, 1878, p. 139.
  2. Pir-e-mus désignait, chez les Égyptiens, non le solide, mais son arête.