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p. tannery. — thalès et ses emprunts a l’égypte.

donnaient des connaissances plus précises sur les mouvements célestes. A la même époque, le voyage en Égypte d’Eudoxe de Cnide a pour résultat de combler les lacunes de la science grecque à cet égard, nullement de développer la géométrie, dont l’essor est désormais assuré.

Si maintenant on écarte Pythagore, dont les découvertes paraissent vraiment originales, il ne resterait en fait rien des emprunts faits par la Grèce à l’Égypte en ce qui concerne la géométrie. C’est là une conclusion exagérée ; la vérité semble être que d’une part les théorèmes prétendus découverts par Thalès et Œnopide étaient connus des Égyptiens, que de l’autre ceux-ci n’ont jamais eu comme géométrie qu’un art, dont les Grecs ont fait une science.

C’est ce que nous allons essayer d’établir par une discussion plus approfondie ; nous tenterons de montrer en même temps que rien n’indique en fait que Thaïes, comme géomètre, ait dépassé les Égyptiens, ni qu’il ait fait preuve d’un véritable génie d’invention.

Cette dernière assertion contredit à la vérité une opinion que les mathématiciens, en général, ont facilement adoptée ; ils ont voulu qu’il y eût un théorème de Thalès, comme il y a un théorème de Pythagore ; mais on s’est écarté sur cette question des témoignages sérieux, pour se lancer dans le champ illimité des conjectures.

Auguste Comte professait une grande vénération pour la mémoire de Thalès, dont il a donné le nom à l’un des treize mois du calendrier positiviste ; c’est d’après le maître que, dans les Grands types de l’humanité, M. Laffite attribue au Milésien la découverte du théorème que la somme des trois angles d’un triangle est égale à deux droits. Cette proposition serait indispensable, d’après lui, pour démontrer que tout angle inscrit dans une demi-circonférence est un angle droit.

Mais l’attribution de ce dernier théorème à Thaïes par l’historienne Pamphila (Ier siècle après Jésus-Christ) est douteuse, parce qu’elle est mêlée au récit légendaire du sacrifice offert aux dieux en reconnaissance de l’invention. D’autre part, la déduction de Comte n’est nullement rigoureuse, et elle est d’ailleurs en contradiction formelle avec le témoignage d’Eudème, qui rapporte aux pythagoriciens le théorème sur la somme des trois angles d’un triangle[1].

Montucla, de son côté, adopte le dire de Plutarque d’après lequel Thalès aurait inventé la théorie de la similitude des triangles et l’aurait appliquée à la mesure de la hauteur d’une pyramide. On a

  1. Nous savons au reste, par Geminus (Commentaire d’Eutocius sur les Coniques d’Apollonius, éd. Halley, p. 9), qu’avant l’invention d’une démonstration générale on traitait séparément trois cas pour ce théorème.