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g. séailles.philosophes contemporains

pas d’une multitude d’idées, il veut en saisir l’unité. — Est-ce à dire qu’il faille abandonner la méthode précieuse à laquelle nous devons tout ? Images delà réalité, les sciences en reproduisent l’harmonie, elles saisissent les phénomènes dans leurs rapports ; par leurs progrès mêmes, elles tendent à former un tout, à s’organiser, à devenir la science. A. Comte a dessiné le plan de ce grand édifice qu’élèvera l’avenir. D’après lui, « les sciences diverses, considérées dans leur rapport de subordination et de dépendance, forment un système hiérarchique, dans lequel la plus abstraite et la plus générale sert de point de départ, de condition, de base élémentaire à la science plus concrète et plus particulière qui la suit immédiatement dans l’échelle de la généralisation. » Cette classification n’est pas arbitraire ; elle reproduit les relations réelles des phénomènes entre eux. L’esprit peut donc trouver le repos en dehors des vaines hypothèses, mettre l’unité dans ses idées en s’élevant par inductions successives jusqu’à la loi universelle d’où se déduisent toutes les autres lois, jusqu’à la formule suprême en laquelle se résume et s’exprime toute réalité. Qu’on ne parle plus du démembrement de l’intelligence, dispersée dans une multitude de vérités sans rapport, du vertige que donne le tournoiement des idées chaotiques : la science se fait art sans cesser d’être la science ; la beauté s’est ajoutée à elle par surcroît comme la fleur naturelle du vrai[1].

Telle est la science : elle est calme, sûre d’elle-même ; elle ne s’est pas marqué pour but un infini, vers lequel on marche sans cesse sans en approcher davantage, et elle communique à ceux qui l’aiment cette sérénité des âmes sages qui, sachant ce qu’elles peuvent, proportionnant leur tâche à leurs forces, ne connaissent ni l’angoisse de l’incertitude, ni le découragement des efforts stériles. La métaphysique c’est la vierge folle, la vierge errante et chimérique : son orgueil méprise les petits devoirs et les petites vérités, dédaigne la réalité qu’elle ignore ; elle se complaît dans les rêves éphémères, à chaque passion nouvelle oublie de bonne foi les passions anciennes, jure de s’arrêter dans la possession de cette vérité définitive : ce n’est que l’ombre d’un songe qui passe. Ceux qui l’aiment lui ressemblent : inquiets, tourmentés, avec des enthousiasmes rapides, des élans d’orgueil, des disparitions soudaines du monde réel, des séjours sans fin dans les rêves, où ils s’emprisonnent. C’est de la poésie peut-être ; à coup sûr ce n’est pas de la science. Il n’y a pas de science sans objet Quel est l’objet de la métaphysique 1 La discussion commence, pour ne plus finir. On parle bien d’absolu, d’infini, de parfait, d’essences

  1. Tome iii, p. 158-209.