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analyses. — wake. The Evolution of Morality.

pour la bienveillance : « cette condition d’esprit qui accompagne l’action vertueuse est due à la genèse de certaines émotions. » Les sentiments altruistes reposent sur la sympathie. Quant à l’origine de la sympathie elle-même, on aurait tort de la chercher, ainsi que l’a fait M. H. Spencer, dans des expériences d’utilité : « Elle doit dériver d’une source aussi fondamentale que celle d’où est dérivée l’idée du droit, d’un instinct de notre nature étroitement uni à celui sur lequel est fondée cette idée. » Cet instinct, qui donne naissance à la sympathie et à ses manifestations diverses, pitié, affections sociales, c’est l’instinct maternel. Inutile d’en faire ressortir la puissance, même chez les animaux inférieurs ; elle balance parfois jusqu’à celle de l’instinct de conservation personnelle. Quelque théorie que l’on adopte sur l’origine de l’espèce humaine, il est clair que dès le premier jour l’instinct maternel dut s’y manifester avec une énergie suffisante pour en expliquer tous les développements futurs. On pourrait même remonter plus haut encore, jusqu’à l’instinct sexuel, qui lui est antérieur et dont il découle. « Ce dernier, qui est à la race ce que l’instinct de conservation personnelle est à l’individu, est le vrai point de départ du développement qui aboutit à la formation des sentiments altruistes. Néanmoins l’instinct sexuel est, chez les races primitives du genre humain, si exclusivement physique, et les satisfactions qu’il exige sont si peu accompagnées d’émotions différentes de celles qui se rapportent à une source purement physique, qu’en traitant de l’histoire naturelle de la morale il suffit de partir de l’instinct maternel, considéré dès lors comme représentant la plus ancienne période dans le développement de ces sentiments altruistes. »

Chez la plupart des peuplades sauvages, l’instinct maternel est violemment combattu par l’instinct de conservation personnelle ; de là la pratique si générale de l’infanticide, qui ne réussit pourtant nulle part à étouffer au cœur des mères ce besoin inné de tendresse et de sympathie dont l’objet le plus naturel est l’enfant. Ainsi s’explique ce fait étrange que des manifestations touchantes de sympathie s’observent fréquemment chez ces peuples mêmes qui violent le plus constamment l’instinct de maternité. Les indigènes australiens en fournissent plusieurs exemples ; celui-ci mérite d’être rapporté : « Dans une circonstance, quelques noirs furent attaqués par des naturels ; trois d’entre eux ne pouvaient fuir, et, pour les sauver, les femmes les renversèrent par terre et se jetèrent par-dessus en formant un tas. Les hommes tiraient les femmes, les frappant de leurs tomahawks, au point que les malheureuses étaient couvertes de sang ; mais à peine étaient-elles entraînées qu’elles retournaient, jusqu’à ce que la férocité des hommes fût calmée. Une telle conduite ne doit pas surprendre. Chez les peuples sauvages, les femmes sont traitées si durement, et leur sentiment de sympathie maternelle a si peu d’occasions de s’exercer envers ceux qui en sont les objets les plus naturels, que, le cas échéant, il saura trouver quelque autre issue. »