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analyses. — h. girard. La philosophie scientifique.

La profession de l’auteur et l’éducation intellectuelle qu’il a dû recevoir font supposer à priori que ses idées ne diffèrent pas sensiblement, dans leur ensemble, de celles qui constituent le fond de l’œuvre d’Auguste Comte, si l’on fait abstraction des dogmes particuliers de l’école positiviste. Cette hypothèse se vérifie d’ailleurs très exactement ; mais il est intéressant de constater en même temps que M. Girard est un esprit absolument indépendant, et qu’il ne se doute même pas de ce que renferme le Cours de philosophie positive. Il semble ne connaître de Comte[1] qu’un ouvrage posthume, les Essais de philosophie mathématique (Paris, 1878), dont la publication n’a guère présenté qu’un intérêt historique. Aussi ne faut-il pas trop s’étonner s’il lui arrive de présenter, un peu naïvement, comme tout à fait nouvelles, des idées qui ont au moins cinquante ans de date et qui sont, en fait, passablement répandues.

Tout le monde ne peut certainement avoir le temps ou la patience nécessaires pour lire les six gros volumes de Comte ; mais il n’en est pas moins fâcheux qu’un penseur, s’attachant à la philosophie des sciences, puisse ignorer qu’il en existe un traité complet, et un seul, auquel il aurait d’ailleurs le plus grand tort de ne pas recourir. Ce n’est pas, à la vérité, que l’œuvre de Comte soit définitive ; bien au contraire ! elle a déjà près d’un demi-siècle, et, comme la philosophie des sciences doit en suivre le progrès incessant ; ce qu’il a fait devrait, pour être mis à hauteur du niveau actuel, subir un complet remaniement. Mais il n’y en a pas moins la des assises inébranlables, et, en tout cas, un monument qu’il faut prendre comme modèle.

Il serait sans doute très intéressant de poursuivre dans les détails une comparaison complète entre les opinions de M. Girard et la doctrine de Comte, en discutant les divergences, beaucoup plus apparentes que réelles, qu’elles peuvent présenter au premier abord. Mais nous nous abstiendrons de ce travail, qu’il nous convient de laisser à une autre Revue, et nous nous contenterons, à cet égard, d’une remarque générale.

En fuit, le livre de M. Girard comble une lacune dans l’œuvre de Comte. Celui-ci, pour mieux affirmer sans doute son opposition aux méthodes à priori, n’a nullement fait précéder d’une introduction générale suffisamment développée l’étude successive des diverses sciences au point de vue philosophique. Il s’est borné, au début de ses leçons, à justifier l’ordre qu’il adoptait pour cette étude.

Sans doute, les points communs aux philosophies des sciences particulières devaient être plus tard, dans la pensée primitive de l’auteur, concentrés en un résumé qui aurait été le couronnement de l’œuvre. Mais, au bout de dix ans, Comte était de plus en plus absorbé par son objectif principal, les sciences sociales, et s’attachait presque exclusivement

  1. Il l’appelle (p. 386) : « non pas un mathématicien, mais un philosophe, » comme s’il ignorait même que les connaissances mathématiques de Comte étaient sou gagne-pain.