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analyses. — th. ribot. La philosophie allemande.

Berkeley (p. 135) ou comme Bain (p. 118). Pourquoi ne fait-il pas aux Français le même honneur. À peine trouvons-nous quelque part (p. 151) une brève mention de Condillac. Et pourtant, quand M. Ribot nous dit : « la théorie empirique est constituée par le rôle prépondérant qu elle attribue aux mouvements et à la sensibilité musculaire (p. 118), » il n’eût été ni sans intérêt ni sans justice de citer le passage qu’on va lire :

« Ce serait une erreur de croire que par des impressions simultanées de tous les points d’un objet sur la peau, que par l’application exacte d’un organe du toucher à tous les points d’une surface, on se ferait de la figure des corps une idée plus nette. Buffon l’a cru, il est vrai ; mais l’expérience le dément. Quand nous voulons dans l’obscurité toucher la forme d’un objet, nous ne l’appliquons point aux larges surfaces de notre corps, nous le circonscrivons avec certains mouvements des extrémités de nos doigts, de ces cinq pointes d’une main parfaite, que M. de Blainville appelait dans son langage pittoresque un compas à cinq branches. Ainsi, dans la perception de la forme, le toucher seul est impuissant. Il faut pour cela un nouvel élément, c’est-à-dire un mouvement voulu. L’esprit sait qu’il a mu le corps. Il garde la trace de ces mouvements, et la trace de tout mouvement, c’est une figure ou une forme[1]. »

Ailleurs encore, M. Ribot nous dit : « Sans parler des difficultés expérimentales qui arrêtent à chaque instant les physiologistes, il y a une difficulté psychologique qui plane sur tout ce débat. À première vue rien ne paraît plus simple que de dire : Ceci est primitif, ceci est acquis, ceci est un fait, ceci est une induction. Le lecteur a dû voir pourtant combien la réponse est difficile dans certains cas (p. 152). » Quelles observations profondes contient sur cette difficulté le mémoire de Maine de Biran qui a pour titre : Influence de l’habitude sur la faculté de penser ; et surtout quelles fines remarques dans le rapport de Destutt Tracy sur ce même mémoire ! Mais n’insistons pas.

M. Ribot a écrit deux beaux livres, l’un sur la psychologie anglaise, l’autre sur la psychologie allemande. Son plus beau livre reste à écrire, il aura pour objet la psychologie française. J’entends cette psychologie qui commence à Condillac, se continue par Cabanis, Destutt Tracy et Maine de Biran, pour arriver enfin à Blainville et à Gratiolet. Nous osons assurer que pour une grande partie du public ce nouveau livre sera, comme ses deux aînés, une révélation.

L’étude consacrée à Fechner et à la psychophysique n’est ni moins étendue ni moins intéressante que l’étude consacrée à l’origine de la notion d’espace. On y trouve la môme érudition, la même exposition consciencieuse des doctrines les plus variées et même les plus opposées, la même sûreté de critique. Mais, ici encore, nous devons remarquer combien M. Ribot est un esprit difficile à persuader. Il faut certes

  1. Gratiolet, Anat. comp. du sys. nerv., p. 412.