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fouillée. — vues synthétiques sur la sociologie.

Il projetait de la sorte ses conceptions subjectives dans l’objectif et inventait une formule capable de relier à ses idées ce qui en réalité n’avait aucun lien avec elles. Ainsi font les métaphysiciens, les partisans des causes finales, les auteurs des « philosophie » de l’histoire » ; ils donnent le sens qu’ils veulent au poème obscur de l’univers. Pour les uns l’apocalypse du monde est un traité de musique ou d’esthétique, pour les autres un traité de géométrie et de mécanique, pour les autres un traité de morale, où les exceptions, il est vrai, sont encore plus nombreuses que les règles. La conséquence de ces doctrines, en métaphysique, est un fatalisme pur ou mélangé, excluant aux yeux des uns toute liberté humaine, se conciliant selon les autres avec le libre arbitre de l’homme, — deux mystères au lieu d’un seul, et deux mystères contradictoires ! Dans la politique, la conséquence est un absolutisme plus ou moins mitigé car, lorsqu’on se croit en possession du secret de l’univers et du secret de Dieu, comment n’en ferait-on pas la loi des gouvernements, comment ne justifierait— on pas tous les moyens pratiques au nom de la « fin absolue ? » La cause de ces erreurs est la confusion de la métaphysique et de la science, des spéculations sur l’absolu, — qui est la chose la plus hypothétique du monde et l’objet des conceptions les plus relatives, — avec la connaissance positive de la réalité, enfin d’une finalité problématique avec la causalité naturelle, qui seule comporte certitude.

Une réaction ne pouvait manquer de se produire ; nous lui devons la sociologie positive, dont l’objet, la méthode, les principes et les résultats sont tout différents. L’objet de la sociologie n’est plus l’essence, l’origine ou la fin des choses ; ce sont, comme on le sait, les conditions et les lois des phénomènes sociaux, la structure et les fonctions du corps social. Étudies dans leurs conditions de stabilité, les phénomènes dont la société est le théâtre donnent lieu à la statique sociale ; étudiés dans leur essor et leur développement, ils donnent lieu à la mécanique sociale, et comme ce développement est analogue à celui des êtres vivants, il prend le nom d’évolution. Ainsi conçue, la science de la société humaine n’est plus subordonnée à la théologie, à la métaphysique ou à la logique abstraites ; elle rentre dans cette science concrète qu’on nomme la biologie et qui n’est elle-même qu’une forme de la physique universelle. Dès lors, la méthode de la sociologie est avant tout expérimentale, à posteriori, inductive ; elle est tournée vers les objets et non plus seulement vers le sujet pensant, elle est objective. Son principe directeur n’est plus la finalité, c’est la causalité naturelle. La conséquence en théorie est le déterminisme scientifique, selon lequel, les conditions d’un