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plus qui n’empêche point les autres de subsister ; elle y introduit aussi un moteur nouveau, un nouveau facteur, sur lequel on n’insiste pas assez d’ordinaire et dont nous avons déjà rappelé plus haut l’influence efficace. Nous sommes ainsi ramenés au point central et vital, au punctum saliens de l’organisme collectif. Ce qui caractérise essentiellement, selon nous, le corps social, c’est d’avoir pour principal ressort une idée qui s’actualise par cela seul qu’elle est conçue. En d’autres termes, pour donner la caractéristique essentielle de la société humaine, nous la définirions volontiers : un organisme qui se réalise en se concevant et en se voulant lui-même. En effet, à quel moment un ensemble d’hommes devient-il une société au vrai sens de ce mot ? C’est lorsque tous ces hommes conçoivent plus ou moins clairement un type d’organisme qu’ils pourraient former en s’unissant, et lorsqu’ils s’unissent effectivement sous l’influence déterminante de cette conception. On a alors un organisme qui existe parce qu’il a été pensé et voulu, un organisme né d’une idée, et, puisque cette idée commune entraîne une commune volonté, on a en définitive un organisme contractuel. Sans doute ce mode d’association n’est jamais entièrement réalisé entre des hommes donnés ; mais il existe plus ou moins ébauché dans toute nation, et c’est vraiment alors que la société, au lieu d’être purement végétale ou animale, devient humaine.

Cette synthèse de l’organisme et du contrat nous permet d’accepter et de mettre à leur place légitime les vérités des principales théories relatives à la nature de la vie ou à la nature de la société. Parmi ces théories, les unes sont empreintes d’une pensée plus ou moins déguisée de finalité, les autres d’une pensée de pur mécanisme. La formation de l’organisme contractuel peut d’abord s’éclairer par ce qu’un de nos plus grands naturalistes a dit sur la formation des êtres vivants. Qui ne connaît la conception de l’idée directrice mise en avant par Claude Bernard ? Mais cette conception à demi finaliste n’a guère été pour lui qu’une métaphore vague ou une hypothèse métaphysique des plus contestables ; elle devient ici, dans l’application que nous en faisons à la société, une vérité rigoureuse. Quand il s’agit du corps d’un animal, rien de plus problématique que cette prétendue action informatrice, venant d’une idée en quelque sorte préétablie : ce n’est pas sans raison que les savants les plus scrupuleux l’ont rejetée, et nous la rejetons comme eux pour notre part. Les lois physiques du mouvement et les lois psychiques de la sympathie, qui font passer d’une cellule à l’autre le plaisir ou la douleur, nous paraissent suffisantes pour produire toutes les actions et réactions de cellules qui aboutissent à une forme orga-