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fouillée. — vues synthétiques sur la sociologie.

distribution et de commutation, il n’est pas difficile de reconnaître les deux idées fondamentales de la sociologie : celle d’organisation et celle de contrat. La loi de l’organisme vivant, en effet, c’est la distribution proportionnelle, c’est la justice distributive : ne faut-il pas que chaque organe, chaque cellule reçoive une part de nourriture proportionnée 1° à l’importance de sa fonction, 2° à son besoin ? La fonction est une dépense de force, qui entraîne la nécessité d’une restitution de force. Le cercle de la vie doit sans cesse tourner sur lui-même de manière à compenser, et au delà, ses pertes par ses acquisitions. Ceux qui voient surtout dans la société son caractère organique seront donc plus portés à concevoir la justice sociale comme essentiellement distributive, et peut-être tentés de confier le rôle de distributeur à un sensorium ou à une sorte de cerveau social, tel que le gouvernement. La physiologie elle-même, cependant, n’autorise pas cette conclusion précipitée. Comment en effet s’opère dans le corps vivant la distribution du fluide nourricier ? Elle s’accomplit en dehors des centres régulateurs, sans leur action directe, sans leur intervention effective. Les échanges mécaniques et chimiques qui ont lieu d’une cellule à l’autre, — et qui s’accompagnent sans doute de cette sorte d’échange psychique qu’on nomme sympathie ou communication des sensations, — suffisent pour assurer la circulation et la distribution normale du sang, de la chaleur, de la force et de la vie, selon les travaux plus ou moins grands et les besoins plus ou moins vifs de chaque organe. Ce qui paraît un résultat providentiel ou une fin poursuivie par une archée, par un principe vital, par une âme, n’est que le résultat d’actions et de réactions particulières entre les cellules individuelles. Dans la société, ces actions et réactions deviennent conscientes et volontaires ; elles prennent la forme supérieure du contrat, et la justice commutative d’individu à individu suffit à elle seule pour assurer, dans une foule de cas, la distribution équitable des biens. De là l’individualisme économiste, qui ne connaît que la justice commutative et les contrats particuliers.

Mais l’idée de contrat, ainsi restreinte aux rapports des individus, n’est pas vraiment adéquate à l’idée de société. Celle-ci, en effet, est un contrat plus vaste, qui domine et embrasse tous les autres, qui entraîne par cela même des obligations nombreuses et déterminées pour tous à l’égard de chacun, pour chacun à l’égard de tous. Les économistes qui se contentent de dire : — Laissez faire, laissez passer, « laissez mourir », — restreignent donc à l’excès l’idée de contrat social, en même temps qu’ils méconnaissent celle d’organisme social. Si, dans l’animal, les fonctions de distribution peuvent s’accomplir