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cris, les pleurs ; il a même une vague conscience de sa désobéissance. La gourmandise est encore immodérée ; mais, s’il est bien dressé, il ne demande qu’à sa faim, il paraît savoir qu’il ne faut demander qu’ainsi. Si la modération dans les plaisirs est une vertu complètement inconnue de lui, l’éducation affective de ses sens a fait des progrès marqués, qui sont une prudence rudimentaire. Le plaisir et la douleur lui ont fait connaître certaines propriétés des objets, qui intéressaient directement sa sensibilité, et lui ont appris à les refuser, à se comporter à leur égard de telle ou telle manière utile. Son expérience personnelle, toute concrète encore, se résume dans cette formule épicurienne de la sagesse : « Fais ce qui t’est fait, souris à ce qui te donne du plaisir, montre de la haine à ce qui te fait du mal. » À cet âge encore, il me semble que l’idée de justice, innée, selon Rousseau, le P. Girard et Darwin, n’a pas encore fait son apparition évidente : l’enfant qui redouble ses pleurs, ou se tait et bleuit pour avoir été battu à l’excès, ne me paraît dominé que par un violent sentiment de douleur, de dépit peut-être, s’il désirait une chose refusée, mais nullement par le sentiment de l’affront qu’on lui fait. Nous reviendrons sur cet instinct, prétendu inné, de la justice.

Les considérations qui précèdent indiquent quel doit être le rôle de l’éducateur, pendant les premiers temps, en ce qui touche à la formation du sens moral. Il doit être avant tout un rôle d’autorité, de surveillance et de prévoyance. Epier l’éveil des tendances dominantes, leur refuser ou leur accorder l’aliment qui les fortifie, c’est-à-dire l’exercice habituel, selon qu’elles paraissent favorables ou nuisibles, telle doit être la première préoccupation des parents au point de vue qui nous occupe. Ils doivent aussi collaborer adroitement à l’enseignement que les objets donnent incessamment au nourrisson : le plaisir et la douleur sont ses premiers maîtres, ai-je dit après Rousseau, mais des maîtres absolus, impersonnels, qui ne savent pas toujours ce qu’ils font : il faut souvent atténuer, toujours contrôler, si c’est possible, les leçons que les objets donneraient mal, sans notre intervention. Ainsi exposer l’enfant aux indigestions sous prétexte que la nature lui apprendra bien la tempérance, l’exposer au danger du froid et du chaud, des écorchures, des blessures, des heurts, des foulures, pour le laisser arriver spontanément à un usage régulier de ses sens, le laisser crier et se tordre dans son lit pour qu’il s’habitue à la douceur et à l’obéissance, ce sont des exagérations de morale Spartiate, qui, pour avoir été renouvelées de nos jours par le bienveillant philosophe Spencer, n’en sont pas moins des utopies cruelles.

Des animaux aussi, dès qu’il est en âge de marcher vers eux, de