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jusqu’à dépasser toute mesure, jusqu’à comprendre l’infini, l’univers entier en Dieu son principe. Certes la doctrine est séduisante, mais le Dieu que chaque philosophe prétend saisir immédiatement en lui-même est-il autre chose que la conscience de son propre génie ? le monde qu’il déduit de ce principe créateur n’est-il pas son chef-d’œuvre ?La certitude qu’il attribue à son système n’est-elle pas la foi naïve d’un grand esprit qui s’admire ? Les idéalistes prétendent tirer la science de la pensée ; tout ce qu’ils peuvent découvrir par cette réflexion de la pensée sur elle-même, ce sont les lois de la pensée ; mais ces lois s’appliquent aux phénomènes en général, elles ne révèlent pas les phénomènes particuliers ; elles sont les principes de la science, elles ne sont pas la science : erreur fondamentale qui condamne ce système à s’agiter dans le vide, à faire sortir péniblement d’une formule abstraite, la réalité qu’elle ne contient qu’à la condition qu’on l’y introduise artificiellement. Les formules parlent à la volonté de celui qui les interroge et répondent selon l’état de la science. C’est un fait que les idéalistes ne savent rien de la réalité que ce qu’en apprend l’expérience ; qu’ils ne font jamais que résumer et coordonner les connaissances acquises et qu’ils ressemblent à ces prophètes des événements arrivés, qui trouvent les meilleures raisons pour établir qu’ils étaient inévitables[1].

De toutes parts, nous échouons : tout système contient la contradiction qui le tue ; combiner les systèmes, c’est multiplier les contradictions. Mais l’histoire des erreurs passées ne décourage pas l’esprit, elle laisse l’espoir de réussir. Ce n’est donc pas dans l’histoire, comme les positivistes, c’est dans l’esprit même qu’il faut attaquer la métaphysique. Les philosophes ne se tairont que quand on leur aura prouvé que leur impuissance n’est pas une défaillance du génie individuel, mais une loi radicale de l’esprit. Cette preuve est faite par la philosophie critique. La critique de l’esprit établit la possibilité de la science et l’impossibilité de la métaphysique ; du même coup elle justifie la science et marque ses limites. La science est possible : en tous les esprits se trouvent des principes auxquels doivent se soumettre les phénomènes pour devenir objets de la pensée ; la métaphysique est impossible : ces principes universels, nécessaires, n’apprennent rien par eux-mêmes, ils n’ont d’autre rôle que de coordonner les phénomènes, et ils donnent lieu à des antinomies insolubles dès qu’on prétend par eux atteindre la réalité que manifestent ces phénomènes. Les matérialistes veulent faire le monde avec l’étendue ; l’étendue n’est rien qu’une forme de la sensibilité. Les spiritualistes croient découvrir en eux-mêmes une force

  1. Tome ii, p. 306 sq.