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permanent, par l’action continue, si faible qu’elle soit, d’une même cause[1]. L’organe adventice, on l’a vu, est le produit d’un changement momentané dans un endroit de la périphérie de l’animal. Si la cause du changement disparaît, cet endroit tendra à reprendre son état primitif. Mais, nous le savons, il n’y parviendra pas. En vertu du principe de la fixation de la force, il lui restera une trace quelconque de l’action à laquelle il aura été soumis. L’altération qu’il a éprouvée a modifié sa constitution de manière à lui laisser une certaine aptitude à recevoir cette altération, si bien que, quand il est frappé une seconde fois de la même manière, il hésitera moins longtemps à répondre à l’action de la cause impressionnante. Celle-ci multipliant ses coups à la même place, les molécules finiront par y adopter un arrangement propre à les mettre sans effort et immédiatement à l’unisson avec elles. C’est ainsi qu’un barreau d’acier soumis à l’influence d’un aimant acquiert des propriétés magnétiques de moment en moment plus puissantes.

Si donc, par une raison quelconque, un certain endroit de la périphérie est exposé à être mis plus souvent en contact avec un agent déterminé, cet endroit se montrera de plus en plus apte à en accuser la présence, et, d’organe adventice qu’il était au début, il se transformera insensiblement en organe permanent. Voilà pourquoi, si un certain côté de l’animal est exposé aux chocs — ce qui arrivera, par exemple, quand l’animal aura pris le pli de se mouvoir toujours dans un sens de prédilection — ce côté finira par se munir d’antennes, de tentacules, de bras, qui lui serviront à se conduire en évitant les obstacles. De là vient aussi que les organes de la vue sont situés du côté tourné habituellement vers la lumière. Bien mieux, les jeunes turbots, on le sait, ont une conformation symétrique ; en avançant en âge, ils prennent l’habitude de s’incliner sur le flanc, et on observe alors chez eux le déplacement graduel de l’un des yeux, qui vient se ranger sur la face supérieure, soit en contournant le crâne, soit même en le traversant de part en part[2].

La transformation, toute physique dans sa cause, de l’organe adventice en organe permanent, a des conséquences psychologiques importantes. Toutes les propriétés de l’organe adventice, l’organe permanent les possède ; mais il en a d’autres qui n’appartiennent qu’à lui. Tandis que le premier ne prend et ne peut prendre aucune initiative, que son rôle est celui d’une sentinelle qui lance le

  1. Voir mon article sur Une loi mathématique applicable à la théorie du transformisme, dans la Revue scientifique du 13 juillet 1877.
  2. Voir Revue des sciences naturelle, VI, sept. 1877, mémoire Agassiz et note de A. Giard.