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par influence, se disposent dans un ordre déterminé. Les liens sont si puissants, que l’inspection d’une seule molécule permettrait le plus souvent de deviner la position de toutes les autres et de reconstituer ainsi l’état affectif général. De là cette conséquence : si une circonstance, qui peut même ne pas intéresser directement les organes en cause, donne à une molécule une attitude qu’elle avait déjà prise antérieurement, les autres molécules seront sollicitées à se ranger dans l’ordre déterminé correspondant et iront jusqu’à céder à cette sollicitation, selon le plus ou le moins de force de l’habitude. Alors se reformera un état subjectif qui n’aura pas sa cause dans un état objectif adéquat. Quand le sifflet de la locomotive vous la met, pour ainsi dire, devant les yeux, c’est en réalité l’ouïe qui vient agir sur votre appareil optique en vertu d’une connexion périphérique antérieurement établie. Une connexion analogue fera que la vue des caractères du mot locomotive éveillera peut-être chez le lecteur une foule de sensations ; non seulement il entendra le souffle de la machine, mais il verra le train, il en sentira les trépidations, il deviendra affairé, il sera bien près d’éprouver toutes les émotions d’un voyage. La mnémotechnie n’est que l’application des propriétés de la loi de simultanéité.

Si cette loi a sa raison d’être dans l’état périphérique, la loi de succession s’explique par la permanence des organes qui, en leur qualité de centres d’arrangement pour la matière des couches, les rattachent l’une à l’autre. L’excitation, même indirecte, d’un organe ressuscite immédiatement tout son passé et ébranle l’animal à la fois en surface et en profondeur. Ce que l’on voit renouvelle ce que l’on a vu ; un fragment d’air fait revenir toute une mélodie ; une phrase, un mot nous remet en tête tout un roman. La réminiscence est ainsi une faculté propre aux animaux pourvus d’organes permanents. À ce titre, puisque ces organes doivent leur origine à des causes physiques, elle a sa racine dans ces mêmes causes.

Notre âme est un tissu compliqué de connexions formées dans tous les sens. Chez elle, il n’y a plus rien de simple. Le moindre ébranlement agite tout un monde. Toute sensation présente, toute impression même d’une nature nouvelle, est nécessairement accompagnée de la réapparition d’impressions anciennes, qui parfois se mettent au premier rang et relèguent à l’arrière-plan la cause qui les a réveillées. Il vous arrive souvent alors de croire qu’elles viennent pour la première fois au jour, et ce ne sont pourtant que des réminiscences. M. Maury avait perdu un manuscrit et avait renoncé à publier son travail. Un jour cependant, on le prie de le reprendre. Il imagine, il le croit du moins, un nouveau début. Un hasard lui fait