Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome IX, 1880.djvu/436

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
426
revue philosophique

Tous les animaux ont des idées communes. La conservation de leur vie est à ce prix.

Le langage semble être particulier à l’homme, ou plutôt nous sommes tentés d’appeler homme tout animal qui saurait parler. Les mots, je viens de le dire, ne sont autre chose que des combinaisons de mouvements musculaires, du larynx principalement, que nous avons appris à associer à certaines impressions. Les impressions et les mots s’appellent ainsi mutuellement. Cette propriété s’étend jusqu’aux syllabes et aux sons. Qui ne connaît les observations curieuses, recueillies par M. Maury[1], sur l’influence des syllabes identiques, qui le faisaient passer de l’idée de pelle à celle de pèlerinage et de Pelletier, de l’idée de jardin à celle de Chardin et de J. Janin ? L’autre jour, étant sur le point de m’endormir, je passai brusquement de l’image de la façade d’une maison de Nuremberg à la cascade du Niagara. Je fus assez heureux pour ressaisir la transition. M’adressant à un interlocuteur fictif, j’avais voulu prononcer mentalement le bout de phrase : Quelle gracieuse façade ! Mes organes engourdis et mal gouvernés avaient articulé le mot cascade. Il n’en fallut pas davantage pour m’envoyer d’un trait de Bavière en Amérique.

Dans l’article précédent, j’ai comparé l’âme à un atlas. Je puis maintenant développer ma comparaison. Chaque feuille de l’atlas représente la même contrée, mais avec des détails différents. Sur les premières feuilles, il n’y a que peu d’indications, qui se retrouvent pour la plupart dans toute la série. Ce sont les grands cours d’eau, les hautes montagnes, les capitales. Des détails imprimés sur les feuilles suivantes, quelques-uns reparaissent souvent, d’autres ne se lisent qu’une fois. Si l’on suppose maintenant que toutes ces cartes soient gravées sur du papier transparent et qu’elles soient exactement superposées, on pourra se faire une idée juste du travail successif de l’artiste auquel on doit le volume, en regardant par-dessus la dernière feuille. C’est la gravure de celle-ci qui apparaît avec le plus de netteté, cela va de soi ; certains détails dessinés sur les cartes inférieures seront à peine visibles, s’ils ne se rencontrent que sur une

    a combiné ainsi les traits de six femmes romaines qui lui ont donné un type d’une beauté singulière et un charmant profil idéal. Il a obtenu un Alexandre le Grand, d’après six médailles du British Museum qui le représentaient à différents âges, et une Cléopâtre, d’après cinq documents. Cette Cléopâtre était beaucoup plus séduisante que chacune des images élémentaires. N’est-il pas intéressant de voir le procédé de l’abstraction passer du domaine subjectif dans le domaine objectif et fournir ainsi une sorte de traduction sensible des lois mystérieuses de la persistance ou de l’effacement graduel des visages dans la mémoire ? »

  1. Le Sammcil et les Rêves. Chap. VI, p. 115 et suiv.