Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome IX, 1880.djvu/459

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
449
boussinesq. — notions géométriques.

été doués d’un sens droit, d’un esprit assez juste, comme il le fallait bien pour que leur vie organique, au soutien de laquelle concourt sans cesse leur intelligence dans ses rapports avec l’ordre matériel, n’avortât pas à tout instant.

Cette raison laisse, il est vrai, dans une ombre complète, le comment de l’harmonie dont elle fait une condition d’existence indispensable pour nous : elle n’explique pas pourquoi nous existons et sommes tels en effet, vu que rien, à en juger par la lumière qu’elle nous donne, n’obligeait des êtres conscients, capables de réflexion, à paraître dans l’univers. On doit la trouver également insuffisante, en ce qu’elle se borne à présenter le monde intellectuel comme un ordre de choses subjectif, comme un domaine tout abstrait de l’esprit humain, sans y voir les caractères de nécessité et de généralité qui en font, aux yeux de la raison s’appuyant sur le sens commun, un ensemble de vérités absolues, éternellement subsistantes. Mais, pour aller plus loin, c’est-à-dire, pour s’élever Jusqu’au point de vue d’où le monde des idées pures serait jugé avoir au moins autant de réalité objective que le monde physique, et où s’expliqueraient, dans leur sens supérieur ou complet, l’harmonie que présente en particulier chacun des deux mondes, celle qui ressort de leur rapprochement, et les lacunes ou imperfections possibles que ces harmonies comportent soit en elles-mêmes, soit seulement par rapport à nous, il faudrait franchir toutes les limites de la science et faire appel aux mystérieuses lueurs du sentiment. Celles-ci, en effet, beaucoup plus étendues et pénétrantes que précises, beaucoup plus chaudes et fortes qu’éclairantes, sont les seules qui atteignent les régions trop lointaines ou trop profondes où n’arrive pas la lumière, à la fois plus restreinte et plus claire, de la raison. Or le but déterminé des recherches poursuivies ici nous interdit de sortir du champ de notre vision distincte, malgré l’intérêt puissant que présentent les questions, bien plus grandes que ce champ tout entier, au seuil desquelles nous sommes conduit.

J. Boussinesq.