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REVUE PHILOSOPHIQUE

Nous avons considéré jusqu’ici deux exemples de l’infini : le temps, auquel sa nature ne permet que l’infinité de succession, et les nombres, qui présentent, il est vrai, une infinité de valeurs simultanées, mais ne se composant en aucun résultat, bien qu’elles se prêtent à une multitude innombrable de combinaisons possibles. Passons maintenant à l’espace qui, seul, par la simultanéité de ses parties cohérentes, nous autorise à en comprendre l’infinité sous la forme d’un tout également simultané. Ceux donc qui attribueraient à l’espace vide une réalité indépendante, abstraction faite des choses réelles qui pourraient venir le remplir, seraient-ils autorisés à lui attribuer aussi une étendue infinie ? Au moment de répondre à cette question, je me souviens d’un passage (page 53) où M. Renouvier, se relâchant de sa sévérité, croit brûler, « comme on dit dans le jeu de cache-cache, car la question du continu, dit-il, qui est soulevée ici sans être plus clairement désignée, est la même que celle de l’infini et touche de près à celle de l’espace et du temps. » Je ne répondrai pas aux remarques que M. Renouvier introduit ainsi, car elles s’éloignent trop de l’objet de notre discussion actuelle ; elles me serviront pourtant pour ce que j’ai à dire maintenant. En effet, la divisibilité illimitée d’une étendue finie fait bien voir comment une infinité présente peut être comprise non seulement comme un tout, mais même dans un tout circonscrit. Je prévois l’émotion que cette thèse va causer aux amateurs d’une terminologie très propre à obscurcir les faits les plus simples ; je sais fort bien que dès l’antiquité on a tenté d’établir une différence sérieuse entre l’infini par division et l’infini par composition, et je m’attends à me voir répéter par M. Renouvier que je confonds l’acte et la puissance. Peu m’importe ! si nous sommes assurés que la division réitérée d’une étendue décomposera sans fin chacune des parties ainsi séparées en une nouvelle multitude de parties plus petites, il faut bien admettre que chacune de ces dernières, dont le nombre deviendra infini, a dû préexister comme existe, et de la même manière, le tout qu’elles forment. C’est sur l’actualité de leur existence que repose la puissance pour elles d’être séparées. Supposons maintenant, mais je répète que c’est la supposition de ceux dont je ne suis ici que le représentant, non le partisan, supposons donc l’étendue réelle, soit que nous croyons réel l’espace même, soit que nous le remplissions par le réel ; évidemment ce réel participera alors aux propriétés de l’étendue et renfermera, dans un volume circonscrit, une infinité actuelle et présente. Il faut convenir que cette infinité interne d’un volume donné diffère encore de l’étendue infinie que nous attribuons à l’espace même ; mais c’est précisément le caractère de l’espace d’admettre,