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j. sully. — le plaisir de la forme visuelle.

La substitution, dans la rétine, de la perception simultanée de la forme à la perception successive, a pour effet de ramener les termes des rapports de variété et de contraste, d’unité et de ressemblance, de les ramener à un acte approximativement unique d’attention. Si nous épions les mouvements de la main d’un peintre quand il trace l’esquisse d’une figure humaine sur la toile, notre œil peut arriver à une perception grossière des directions et des distances successives ; mais que cette perception sera vague, en comparaison de celle que nous obtenons instantanément quand l’artiste s’éloigne de sa toile et nous montre ces directions, ces distances, comme parties d’un tout, un et permanent ! Dans le premier cas, nous avions à rassembler, avec le secours de la mémoire, une quantité d’impressions occupant un temps appréciable ; dans le second, ces impressions nous sont présentées en un seul et même instant. Il doit en résulter alors que la perception de tous les rapports, de dissemblance comme de ressemblance, deviendra,’dans ces circonstances, plus nette et plus exacte.

Là n’est pas seulement le profit. En ajoutant aux facultés de la rétine l’appréciation simultanée, nous créons une mesure plus délicate, une mesure nouvelle, pour l’estimation des éléments de forme eux-mêmes. Dans le cas de deux lignes, par exemple, qui sont presque égales, ou de deux lignes qui sont presque parallèles, le discernement de la grandeur et de la direction est plus délicat quand les lignes sont réunies et simultanément perçues a l’aide d’impressions sur la rétine que lorsqu’elles sont situées de telle manière qu’elles-mêmes (ou leurs distances réciproques) doivent être estimées successivement par l’œil qui se meut[1]. On croira peut-être que ces estimations délicates sont plus importantes dans la science que dans l’art ; pourtant, dans l’art même, les charmes de forme qui s’imposent moins, en particulier ceux de la face humaine, supposent, de la part de la rétine, cette appréciation plus délicate. On peut ajouter que, même lorsque l’ensemble est trop grand pour être embrassé par l’œil en repos, la faculté de perception simultanée que possède la rétine aide beaucoup dans la perception plus claire et plus exacte des rapports. Pour juger, par exemple, de la symétrie d’une colonne, d’une pyramide ou d’une figure humaine, l’œil n’a pas besoin de passer sur tous les contours. Il lui suffira de décrire un chemin cor-

  1. Ceci n’est nullement en désaccord avec cette supposition que l’évaluation par la rétine de la direction et de la grandeur peut être attribuée, en dernière analyse, à des sentiments de mouvement. On peut supposer que le jugement de la rétine représente l’expérience motrice moyenne et constante, par opposition à celle qui est particulière et variable.