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point de repère quelconque. L’opération s’achève après quelques tâtonnements, souvent laborieuse, infructueuse, et peut-être jamais précise.

Si le lecteur veut bien étudier ses propres souvenirs, je ne pense pas qu’il élève d’objections sérieuses contre ce qui précède. Il remarquera de plus combien ce mécanisme ressemble à celui par lequel nous localisons dans l’espace. Là aussi, nous avons des points de repère, des procédés abréviatifs, des distances parfaitement connues que nous employons comme unités de mesure.

Il n’est pas inutile non plus de faire voir en quelques mots que la localisation dans l’avenir se fait par un mécanisme analogue. Notre connaissance de l’avenir ne peut être qu’une copie du passé. Je n’y trouve que deux catégories de faits : les uns, qui sont une reproduction pure et simple de ce qui a eu lieu aux mêmes époques, dans les mêmes endroits, dans les mêmes circonstances ; les autres, qui consistent en inductions, déductions, conclusions tirées du passé, mais produites par le travail logique de l’esprit. En dehors de ces deux catégories, tout est possible, mais tout est inconnu.

Évidemment, la première classe de faits est celle qui ressemble le plus à la mémoire, parce qu’elle est une simple reproduction de ce qui a été. Un homme a l’habitude d’aller tous les ans passer le mois de septembre dans une maison de campagne. En plein hiver, il la revoit avec ses alentours, ses habitants, son train de vie. Cette image flotte d’abord indéterminée ; elle est également matière à souvenir et à avenir. D’abord elle s’éloigne du présent, puis elle glisse après l’hiver, le printemps, l’été ; enfin elle se localise. Le cours de l’année, avec sa succession de saisons, de fêtes, ses changements d’occupations, fournit des points de repère. Ce mécanisme ne diffère de celui de la mémoire qu’en un point : c’est que nous passons du bout final du présent au bout initial de l’état suivant. Nous n’allons pas, comme pour le souvenir, d’un commencement à une fin, mais bien d’une fin à un commencement. Nous parcourons, dans cet ordre invariable, théoriquement tous les états intermédiaires, pratiquement quelques points de repère. Le mécanisme est donc le même que pour la mémoire ; seulement il fonctionne dans un autre sens.

En somme, si nous laissons de côté les explications verbales, nous trouvons que la « reconnaissance » n’est pas une « faculté », mais un fait, et que ce fait résulte d’une somme de conditions. Aussi la « reconnaissance », la localisation dans le temps varie au gré de ces conditions à tous les degrés possibles. Au plus haut degré sont les points de repère ; au-dessous, des souvenirs vifs, précis, casés presque aussi vite ; au-dessous, ceux qui causent des hésitations,