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ANALYSES. — e. last. Mehr Licht.

mulent, pour ne la livrer du moins qu’aux esprits capables et dignes de la conquérir. Effet de l’orgueil ou de l’impuissance, cette obscurité a paru un danger, et voici un philosophe allemand qui, prenant pour devise et pour titre le mot de Goethe mourant : « Plus de lumière ! » entreprend une œuvre de propagande et de foi. Il veut que, tous les nuages dissipés, la vérité de l’idéalisme apparaisse comme la lumière. La chose est d’importance et vaut qu’on y consacre ses forces. Attirée par l’assurance de ses docteurs, par leur apparente clarté, la foule va au matérialisme ; elle croit comprendre ce qu’elle imagine : des petits morceaux de matière secoués dans le vide ; le monde créé par un jeu.de patience et de hasard ; et elle se réjouit d’être philosophe à si bon compte. Le matérialisme va triompher peut-être et du même coup périr la moralité humaine, « si l’on ne lui oppose une exposition des grandes vérités de l’idéalisme dont la clarté soit animée par la chaleur d’une ardente conviction. » Il faut vulgariser les théories de Kant et de Schopenhauer ; il faut rendre banale l’idée que l’esprit n’atteint lés objets que par l’intermédiaire des sens, que le monde tel qu’il nous apparaît n’est pas le monde tel qu’il est, que la diversité des phénomènes peut cacher l’Unité réelle de l’Être qui les comprend ; il faut que ces vérités pénètrent l’esprit dès l’enfance, alors qu’il est libre encore de tout préjugé, et que vienne le jour où elles seront exposées dans les écoles populaires. « La philosophie, consolatrice dans la douleur, lumière sur la route de la vie, doit-elle rester étrangère au peuple allemand ? Une connaissance de la réalité intime du monde, qui suffit à faire l’homme libre et indépendant dans son vouloir, lucide dans son intelligence, doit-elle être interdite au grand nombre qui en est avide et demeurer éternellement une matière de discussions inutiles entre les érudits ? »

Tel est le but que s’est fixé l’auteur : il ne cherche pas la vérité pour elle-même ; il n’a pas l’indifférence du savant et du philosophe, que réjouissent les jeux de la pensée ; il a même quelque mépris pour ce dilettantisme ; il fait œuvre de sentiment ; il se met lui-même et son cœur dans son livre ; en pensant, il agissait ; en écrivant, il agit encore, mais pour les autres ; son livre est ainsi une histoire et une prédication ; ayant été d’abord un effort pour se convaincre soi-même, il est devenu un effort pour convertir toutes les âmes de bonne volonté. À l’originalité de cet apostolat philosophique s’ajoute le fait que l’auteur est une femme[1], qui, de la métaphysique s’est fait une religion. Peut-être, dès lors, n’est-il pas inutile de retrouver la logique intérieure suivant laquelle se sont organisées ses idées et de faire la psychologie du livre en en faisant un bref exposé.

Dans notre société moderne, il faut qu’un esprit traverse la religion et s’en affranchisse pour arriver à l’indépendance de la pensée libre et

  1. « Ce livre a pour auteur une femme, mère de sept enfants, qui vit à Vienne. » (Die neue Presse).