Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome IX, 1880.djvu/57

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


LES PROBLÈMES DE L’ÉDUCATION[1]



Stuart Mill, dans le remarquable essai sur la Logique des sciences morales qui sert de conclusion à son Système de logique, s’est attaché à montrer que, si l’art dépend de la science dans la détermination des moyens propres à atteindre la fin qu’il se propose, la détermination de cette fin appartient exclusivement à l’art lui-même et forme son domaine particulier. Il réclame donc l’établissement d’une philosophie première de l’art qui détermine, selon ses expressions, « si la fin spéciale de chaque art particulier est digne et désirable, et quel rang elle occupe dans la hiérarchie des choses désirables. » Il donne à cet art suprême le nom de téléologie ou de théorie des fins, et il déclare qu’aucune théorie scientifique, si parfaite qu’elle soit, ne peut la remplacer. Un écrivain qui traite de la morale et de la politique a besoin à chaque pas d’invoquer les principes généraux de la téléologie, et l’exposé le plus scrupuleux et le mieux digéré des lois des phénomènes mentais ou sociaux et des rapports de causalité qui les unissent ne sera d’aucune utilité pour l’art de la vie ou de la société, si les fins que doit poursuivre cet art sont abandonnées aux vagues suggestions de l’intellectus sibi permissus ou prises pour accordées sans analyse ou sans discussion.

À la morale, à la prudence ou politique et à l’esthétique, qui sont, d’après lui, les trois branches de ce grand art de la vie, Stuart Mill aurait pu sans doute joindre la pédagogie ou l’art de l’éducation. Elle aussi exige impérieusement, pour se constituer, pour se définir même, l’examen et la solution préalables de ce problème fondamental. Quelle est la fin propre de l’éducation, et comment se subordonne-t-elle à la fin générale et suprême de la vie humaine ?

Tant qu’on n’aura point nettement établi et délimité le but final de l’art pédagogique, il sera donc impossible d’asseoir sur des bases solides une théorie philosophique de l’éducation. Cette question préjudicielle doit être examinée et résolue avant qu’on aborde l’étude des facultés intellectuelles et morales de l’homme et des lois psychologiques qui président à leur développement naturel ; à plus forte

  1. G. Compayré. Histoire critique des doctrines de l’éducation en France, depuis le xvie siècle. 2 vol. in-8o, Hachette.