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d. nolen. — la critique de kant et la religion

pitres du troisième livre de La religion dans les limites, etc., à propos de la fondation d’un royaume de Dieu sur la terre, l’ample exposé d’une doctrine qui semble bien le dernier mot et l’expression intime de sa foi religieuse.

Le souverain bien, la fin suprême de la création, c’est l’existence d’un règne moral, où les êtres raisonnables n’obéiront à d’autres règles qu’à celles de la vertu. Toutes les volontés doivent concourir à la fondation de cette république universelle des esprits, de cet État moral, où les lois seront librement et universellement obéies, à la différence de l’état politique ou juridique. Mais un tel idéal ne peut être réalisé par les seuls efforts des volontés individuelles, des volontés humaines, il faut que la puissance suprême leur assure l’efficace qui leur manque, et cette puissance est celle d’un Être souverainement moral, d’un Dieu.

Ce règne de Dieu, dont l’Église, mais une Église libre, universelle, épurée, doit être le représentant sur la terre, Kant l’appelle dans la Critique de la raison pure un royaume des fins en soi, un « corpus mysticum » de toutes les intelligences. Il le décrit, dans les Fondements à la métaphysique des mœurs, comme un bel idéal, bien propre à nous enflammer à la pratique du devoir. Il le regarde comme le meilleur symbole de la vérité inconnue, qu’on puisse proposer aux âmes peu résignées au mystère dont le monde des noumènes est enveloppé et qui éprouvent le besoin d’appuyer leur foi morale sur la croyance à l’existence de Dieu et à une autre vie. Les principes de l’idéalisme critique s’accommodent volontiers d’une hypothèse qui nous apprend à ne voir dans la vie terrestre qu’une pure apparence, et qui nous laisse entendre que les êtres véritables constituent une société de natures au fond purement spirituelles, gouvernée par un Dieu saint et bon, et que ni la naissance, ni la mort ne saurait dissoudre ni rendre moins étroite.

Quoi qu’il en soit de l’hypothèse, n’oublions pas qu’il ne s’agit ici pour Kant que de l’expression d’une croyance personnelle, qui renonce absolument à s’imposer par la démonstration. L’idéalisme moral, qui l’inspire, revendique sans doute une vérité métaphysique plus haute que l’idéalisme esthétique d’un Platon ou d’un Leibniz, par exemple, en ce sens qu’il croit se défendre mieux contre les objections et s’accorder plus complètement avec les principes de la philosophie critique ; mais il n’en prétend pas davantage à la certitude théorique, à l’évidence démonstrative.

Toute hypothèse qui satisferait aux mêmes conditions aurait les mêmes droits ; et nous ne voyons pas ce que Kant eût pu objecter à l’idéalisme de Fichte, si voisin de celui que nous venons d’exposer,