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rement notre part du plaisir que les autres trouvent à nous faire plaisir ?

En attendant que cette société idéale se soit constituée, la seule dont la morale absolue ait à s’occuper, nos actes n’auront qu’une valeur relative. L’homme parfait ne peut exister que dans une société parfaite ; l’entière fidélité à ses engagements dans une réunion d’hommes trompeurs serait une cause de ruine ; il faut s’accommoder aux circonstances. Les actes n’auront une valeur absolue, au sens que M. Spencer donne à ce mot, que lorsqu’ils auront de bons effets pour l’agent comme pour les autres, sans aucun effet pénible pour l’un ou les autres. Nous avons sans doute quelques exemples de ces actes absolument bons : une jeune mère qui nourrit son enfant accomplit une action de ce genre. Mais le plus souvent il faut se borner à constater la valeur purement relative ou de nos opinions ou de notre conduite. Comme toutes les sciences qui se rapportent aux faits réels, la morale est d’abord théorique ; elle suppose des conditions idéales ; elle tient compte seulement ensuite et par degrés des conditions réelles et se sert pour juger des faits tels que l’expérience les donne des principes qu’elle a d’abord posés.

Il ne reste plus, et c’est l’objet du dernier chapitre, qu’à résumer l’ensemble et à déterminer les principales divisions de la morale pratique.

La morale, comprenant les lois du bien vivre en général, embrasse un champ plus vaste que le domaine ordinairement assigné à cette science : outre les actes communément jugés bons ou mauvais, elle traite de tous les modes d’action qui favorisent ou entravent, d’une manière directe ou indirecte, le bien-être de l’agent et celui des autres. De là, deux grandes divisions : l’une se rapporte aux actes qui ont pour fin le bien-être individuel considéré indépendamment du bien-être général ; l’autre, aux actions qui ont immédiatement pour fin le bien-être de nos semblables. La distinction de la morale absolue et de la morale relative s’applique également à ces deux divisions.

Il n’est pas possible de rédiger un code définitif de conduite personnelle. Cependant c’est par rapport à cette sorte de conduite que des nécessités naturelles se présentent en assez grand nombre pour indiquer le plus souvent la voie à suivre et donner aux actes une sanction. L’expérience seule permet de résoudre une foule de questions qui reviennent toutes en définitive à celle de savoir dans quelle mesure, à chaque instant, il faut subordonner son bien-être immédiat à son bien-être dans l’avenir ou à celui des autres.

Quant à la seconde division de la morale, celle que l’on appelle la morale sociale, il est facile de définir, en théorie, en quoi consisteraient des relations équitables entre des individus parfaits, entre chacun d’eux et l’ensemble de tous les autres. En pratique, les règles sont plus obscures, à cause de l’imperfection des hommes, de l’adaptation incomplète de leur nature aux conditions. Ici encore, l’expérience