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bien, dit-il, que je ne suis pas cette bavarde, cette folle…, nous ne nous ressemblons pas du tout. » En un mot le sujet se souvient de toute sa vie consciente, mais il se distingue des deux existences précédentes. Il me raconta qu’il avait été autrefois, il y a vingt ans, amené par le Dr Perrier qui l’avait trouvée comme moi en essayant d’approfondir le sommeil de Léontine. Cette résurrection d’un personnage somnambulique disparu pendant vingt ans était fort curieuse et je lui ai naturellement conservé le nom de Léonore qui lui avait été donné par son premier maître.

Le caractère le plus important de ce nouveau somnambulisme ne s’observe que lorsqu’il est terminé. En effet, on fait cesser cet état de différentes manières : le sujet retombe en léthargie, puis se réveille en somnambulisme ordinaire, état de Léontine. Celle-ci reprend la conversation au point où elle a été interrompue avec elle dans le même état et n’a jamais le moindre souvenir de ce qui s’est passé dans l’état de Léonore. Cette perte de souvenir n’est pas causée par la léthargie intermédiaire, c’est un caractère dépendant du second somnambulisme, car Léontine se souvient de toute sa vie à elle, quoiqu’elle ait été coupée par de nombreuses léthargies. En un mot Léontine ne se souvient pas plus de Léonore que B. tout éveillée ne se souvient du somnambulisme. L’état de Léonore est bien un nouveau somnambulisme par rapport à celui de Léontine comme celui-ci en était un par rapport à la veille[1].

  1. Cet état nouveau, ou second somnambulisme, a été jusqu’à présent fort peu étudié. Mais il n’est que juste de remarquer qu’il a été signalé. Voici le résumé d’une observation très curieuse publiée d’abord dans la bibliothèque du magnétisme, puis étudiée de nouveau dans le Traité de somnambulisme de Bertrand, 1823, p. 318. Une jeune fille de treize ou quatorze ans tombait dans différents états nerveux distincts de la veille, des crises nerveuses, du somnambulisme naturel, et du somnambulisme artificiel ou magnétique. « Quoique la malade eût le libre exercice de son intelligence dans tous ces différents états, elle ne se souvenait dans son état ordinaire de rien de ce qu’elle avait fait ou dit dans chacun d’eux ; mais ce qui paraîtra étonnant, c’est que dans le somnambulisme magnétique dominant pour ainsi dire sur toutes les espèces de vie dont elle jouissait, elle se souvenait de tout ce qui était arrivé, soit dans le noctambulisme, soit dans les crises nerveuses, soit à l’état de veille. Dans le noctambulisme, elle perdait le souvenir du somnambulisme magnétique et sa mémoire ne s’étendait que sur les trois états inférieurs. Dans les crises nerveuses elle avait du moins le souvenir du noctambulisme ; enfin, dans l’état de veille comme au plus bas degré, elle perdait le souvenir de tout ce qui s’était passé en dans les états supérieurs. » Cette observation est d’autant plus intéressante ici qu’elle pourrait s’appliquer presque textuellement à l’histoire de L. Voici maintenant un extrait d’un ouvrage tout récent, une note très courte que j’ai eu le plus grand plaisir à lire, car elle confirmait entièrement des études que je faisais depuis longtemps : « Si on continue cette application (de l’aimant), on détermine un nouvel état qui ressemble à l’état somnambulique, en ce que le sujet reprend possession de ses facultés intellectuelles… Il perd au réveil le souvenir de ce qui s’est passé dans cet état, mais il le retrouve, quand on l’y