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B. PEREZ.l’art chez l’enfant

Il va de soi que la faculté d’interpréter de pareilles images est bien peu avancée chez le jeune enfant. Je vois pourtant des auteurs sérieux l’attribuer à des nourrissons de six ou sept mois. « Une petite fille qui ne parlait pas encore, regardait, à sept mois, les images avec beaucoup d’intérêt ; elle montrait avec son petit index la tête des images représentant les êtres humains[1]. » Je doute qu’il y eût même une vague reconnaissance, et le geste indicateur pouvait bien n’être pas autre chose qu’une insignifiante imitation des gestes faits pour intéresser l’enfant à ces images. Je ne m’explique pas autrement le fait raconté par M. Taine : « Elle voit tous les jours son grand-père, dont on lui a montré souvent le portrait au crayon, beaucoup plus petit, mais très ressemblant. Depuis deux mois environ (elle a dix mois), quand on lui dit vivement : « Où est grand-père ? » elle se tourne vers ce portrait et lui rit. » L’éminent philosophe ajoute, et j’en suis quelque peu embarrassé : « Devant le portrait de sa grand’mère, moins ressemblant, aucun geste semblable, aucun signe d’intelligence. » Si les deux expériences ont été faites dans des conditions identiques, la conclusion me semblerait trop prouver. Ne serait-il pas beaucoup plus raisonnable, pour expliquer de pareils faits, de s’en tenir à ce que le même auteur dit un peu plus loin ?

« Cet hiver (douze mois), on la portait tous les jours chez sa grand’mère, qui lui montrait très souvent une copie peinte d’un tableau de Luini où est un petit Jésus tout nu ; on lui disait en lui montrant le tableau : « Voilà le bébé. » Depuis huit jours, quand dans une autre chambre, dans un autre appartement, on lui dit, en parlant d’elle-même : « Où est le bébé ? » elle se tourne vers les tableaux quels qu’ils soient, vers les gravures quelles qu’elles soient. Bébé signifie donc pour elle quelque chose de général, ce qu’il y a de commun pour elle entre tous les tableaux et gravures de figures et de paysages, c’est-à-dire, si je ne me trompe, quelque chose de bariolé dans un cadre luisant. En effet, il est clair que les objets peints ou dessinés dans les cadres sont de l’hébreu pour elle ; au contraire le carré lustré, lumineux, enserrant un barbouillage intérieur a dû la frapper singulièrement[2]. »

À cet âge-là, je ne doute pas qu’un enfant ne sache très bien ce que c’est qu’un « bébé », et qu’il ne puisse en reconnaître un, de grandeur naturelle, dans un tableau, de même qu’il le reconnaîtrait dans une glace. Encore ne le ferait-il pas sans y être aidé du geste et de la parole. Ce que nous prenons souvent pour un acte de recon-

  1. Prayer, l’Ame de l’enfant, p. 294.
  2. Note sur l’acquisition du langage chez les enfants, Rev. phil., janvier 1876.