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auront changé : il saura reconnaître son maître, retrouver sa gamelle, sa niche ; il aura’peur du fouet, il retrouvera son chemin ; etc., etc. En un mot il sera intelligent, tandis que l’autre sera une demi-brute, quêtant à droite et à gauche, s’arrêtant n’importe où quand il est fatigué, ne connaissant ni maître, ni niche, ni gamelle ; car nuls réflexes d’organisation ne peuvent lui apprendre où se trouvent son maître, sa niche, sa gamelle.

Ainsi ce que nous appelons intelligence, c’est presque uniquement de la mémoire et de l’association d’idées. Quand nous voyons le chien de chasse sauter de joie et gambader auprès de son maître, parce qu’il a vu son maître armé d’un fusil et portant des bottes de chasse, nous disons : « voilà un animal intelligent ». Or, si l’on analyse en quoi consiste cette intelligence, on voit qu’elle n’est guère que de la mémoire. L’image du fusil, dont le chien se souvient, éveille en lui l’idée de la chasse, idée qui lui est agréable, et provoque ses gambades. C’est donc un réflexe psychique individuel, dù uniquement à la mémoire, et qui n’a besoin pour exister que de mémoire.

Cependant cette mémoire, c’est de l’intelligence ; car une association d’idées de cette nature est déjà presque un jugement. C’est presque un jugement pour un chien que de gambader quand le maître prend son fusil. Si ce n’est pas un jugement, au moins c’est une association, et la différence entre une association et un jugement n’est pas grande. Trembler quand le maître prend le fouet : c’est presque un jugement ; car, supposons des idées générales au lieu d’idées concrètes, ce serait tout à fait un jugement.

S’il n’y avait pas chez les différents chiens cette mémoire des faits individuels, tous les chiens réagiraient identiquement de la même manière. C’est parce que Dick, Bob, Lionne, Tom se souviennent chacun de ce qui leur est advenu, qu’ils réagissent à leur manière. Dick se comporte autrement que Bob, et Lionne autrement que Tom, parce que Dick a d’autres souvenirs, partant d’autres associations d’idées, que Bob, que Lionne et que Tom.

Aussi, lorsqu’on dit de tel ou tel animal qu’il est intelligent, c’est comme si l’on disait qu’il a des réflexes psychiques individuels. On ne dira jamais d’un poulpe qui jette son encre, d’un serpent qui lance son venin, d’un lièvre qui fuit quand on fait du bruit, ou d’un homme qui est dégoûté par l’odeur de la charogne, qu’en exécutant ces mouvements admirablement adaptés aux nécessités de leur existence, ils font acte d’intelligence. Ce n’est pas par cela qu’ils sont intelligents. Jeter son encre, lancer son venin, détaler à toutes jambes, être dégoûté par une charogne, ce sont là réflexes qui ne