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société de psychologie physiologique

Quelques mots maintenant sur les difficultés de ces recherches. Quand il s’agit de reproduire de suite ou au bout de très peu de temps une ligne ou un angle qu’on vient de tracer, le souvenir en est encore tout frais dans l’esprit et l’on n’a pas de grands efforts à faire. Mais quand la reproduction graphique ne doit se faire qu’après 20, 25… 50 secondes et plus, il n’en est plus de même. Pour retenir le souvenir de cette ligne ou de cet angle, il faut une attention soutenue. Il faut une très grande tension d’esprit pour que ce souvenir persiste et pour qu’il ne soit pas chassé par d’autres idées, d’autres souvenirs qui surgissent à chaque instant, quoi qu’on en ait, et dont il est très difficile d’empêcher l’arrivée. Rien de moins facile que de penser à une seule chose pendant un certain temps, quand ce temps se prolonge un peu. Cet état devient même pénible à la longue, et chez moi du moins, cette attention soutenue détermine une sorte de malaise et un commencement d’état nauséeux qui n’est peut-être qu’une particularité individuelle, idiosyncrasique, mais qu’il m’a paru intéressant de signaler. Les médecins savent du reste quels rapports ont la nausée et le vomissement dont elle est l’avant-coureur avec certains états cérébraux pathologiques.

Ce fait, qu’on ne peut qu’à grand’peine, et au prix d’une attention soutenue, arrêter longtemps son esprit sur une seule idée, rendra probablement très difficiles les expériences de ce genre sur les enfants, chez lesquels elles seraient pourtant si intéressantes. Je n’ai du reste essayé aucune recherche dans ce sens.

Après ce préambule indispensable que j’aurais voulu raccourcir, j’arrive maintenant aux résultats généraux que m’ont donnés mes expériences. Il s’en dégage trois faits principaux, je n’ose pas dire trois lois. Ces faits sont les suivants :

1o La sensation musculaire ne disparaît pas graduellement de la conscience ; le souvenir d’une ligne ou d’un angle déterminé ne s’affaiblit pas peu à peu par dégradations successives ; ce souvenir s’évanouit brusquement, tout d’un coup ; il fait pour ainsi dire, qu’on me passe l’expression, le plongeon dans la conscience. Il y a sous ce rapport une corrélation remarquable avec ce qui se passe dans l’acte inverse, c’est-à-dire quand un mot ou un nom oubliés reparaissent dans le souvenir. Quand on oublie un mot par exemple, on a beau le chercher, il fuit obstinément et se dérobe ; nous l’avons, comme l’on dit vulgairement, sur le bout de la langue ; mais cette façon de parler ne correspond à rien de précis, à rien qui approche du nom cherché. Puis tout à coup, quand vous ne le cherchez plus (ce qui est d’ailleurs le meilleur moyen de le faire reparaître), ce nom vous saute à l’esprit, subitement, d’emblée. Le mécanisme de la disparition du souvenir et celui de sa réapparition paraissent donc identiques pour ce qui concerne la soudaineté du phénomène.

2o Quand le souvenir de la ligne ou de l’angle tracés a ainsi disparu de la conscience, au point qu’il est impossible de le retrouver en le cherchant, qu’il me sera même impossible, par exemple, de me rap-