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janet. — introduction a la science philosophique

Aristote ? ce qui ne devrait pas être, si la philosophie allait toujours s’appauvrissant par le fait de l’émancipation des sciences spéciales. Le caractère commun qui unit les sciences philosophiques peut être sans doute obscur et difficile à déterminer ; mais il n’est pas pour cela l’inconnu et l’indéterminé, au moins dans le sens tout négatif que l’on était tenté d’abord de donner à ce mot. On peut presque dire au contraire que la philosophie, loin de s’appauvrir par l’émancipation successive de ses colonies, est comme une mère-patrie, qui, conservant son unité, bénéficie de leurs richesses, et s’assimile les plus précieux de leurs produits.

Ajoutons encore une autre considération. En disant que la philosophie est la science de l’indéterminé, entend-on par là qu’elle a pour objet des phénomènes et des êtres actuellement indéterminés, qui peuvent devenir plus tard déterminés, c’est-à-dire ramenés à leurs conditions d’existence phénoménales, expérimentalement déterminables ; ou bien faut-il entendre indéterminé dans le sens de quelque chose qui exclut le déterminisme et toute condition phénoménale, comme par hypothèse : la liberté, l’âme ou Dieu. Dans le premier cas, il est vrai que ces choses, actuellement non déterminées, mais qui peuvent le devenir, en d’autres termes qui peuvent être objet d’expérimentation physique, échapperont au domaine de la philosophie pour donner naissance à une science spéciale. Dans le second cas, ces objets ne rentreront jamais dans la science positive ; mais il ne s’ensuit pas qu’ils ne seront l’objet d’aucune science. Dans le premier cas, l’unité philosophique ne serait que provisoire ; dans le second cas, elle serait réelle ; la philosophie aurait son objet propre, que l’on pourrait appeler l’indéterminé, c’est-à-dire ce qui ne peut être ramené aux conditions de l’existence physique. Mais l’on ne serait pas autorisé à soutenir qu’un tel objet n’est rien, à moins d’affirmer à priori ce qui est en question, à savoir qu’il n’y a qu’un seul genre d’existence, l’existence physique et phénoménale ; et dire que ces objets sont inconnus, c’est ne rien dire ; ils ne le sont pas absolument, puisqu’on en parle ; et s’ils peuvent être connus dans une certaine mesure, ils seront objet de science dans la mesure où ils seront connus, mesure qui ne peut pas être posée d’avance, et qui ne peut être fixée que par la science elle-même.

Par conséquent, la définition précédente laisserait subsister la possibilité d’objets suprasensibles ou métaphysiques, comme on les appelle, objets qui ne peuvent pas être étudiés par les procédés ordinaires des sciences positives, mais qui peuvent l’être peut-être autrement. C’est ce que reconnaissait d’ailleurs le savant dont la définition a été le point de départ de cette discussion :