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DUNAN.l’espace visuel et l’espace tactile

triques sous la dépendance de la sensibilité ? Et alors comment comprendre l’universalité et la nécessité des théorèmes auxquels ils donnent lieu ?

Avant de chercher à résoudre pour notre propre compte la difficulté qui vient d’être signalée, qu’on nous permette d’abord de faire observer que Kant, avec sa théorie de la construction a priori des concepts mathématiques, n’y échappe pas aussi complètement qu’il le semble. Admettons en effet tout ce que l’on voudra au sujet de la différence entre les figures géométriques, telles que Kant les conçoit engendrées, et les figures sensibles ; serait-il possible de soutenir sérieusement que l’expérience nous est inutile pour la construction des premières, et que nous n’eussions pas été embarrassés pour créer mentalement le triangle, le cercle, la sphère géométriques, au cas même où nous n’eussions jamais connu par expérience les triangles, les cercles, les sphères de l’ordre sensible ? Il faut donc reconnaître que l’expérience a un rôle à jouer dans la construction, même purement mentale, des figures géométriques, et que par conséquent cette construction ne se fait pas aussi complètement a priori que Kant le prétend.

Cela dit, voyons laquelle des deux théories résout le mieux la difficulté résultant, pour l’une comme pour l’autre, de l’immixtion de certaines données expérimentales dans la formation des concepts géométriques. Pour nous, l’embarras ne sera pas bien grand, parce que, comme il a été dit plus haut, notre thèse est en conformité absolue avec cette vérité capitale que la géométrie est, non pas une science de choses, mais une science de rapports. Partant de ce principe que la géométrie se confond en réalité avec l’algèbre, et que toute la différence entre les deux sciences tient à ce que l’algèbre envisage les rapports de quantité en eux-mêmes, dans leur pure essence abstraite, tandis que la géométrie envisage ces mêmes rapports incorporés en quelque sorte dans des formes concrètes et sensibles, qui s’étonnera que ces formes concrètes et sensibles puissent être subjectives et relatives, variables même d’homme à homme, sans que pour cela les rapports abstraits dont elles sont comme le revêtement perdent leur caractère purement a priori et purement intelligible ; de sorte que la géométrie, dont ces rapports demeurent toujours l’unique objet puisse être absolue, malgré la relativité des figures géométriques ? Voilà notre solution, assez simple et satisfaisante, à ce qu’il semble. Mais pour Kant la difficulté serait peut-être moins aisée à résoudre. Nous avons admis autant de séries de figures géométriques qu’il peut y avoir de sens constructeurs de l’espace : Kant apparemment n’en admettrait qu’une seule, et par là, il attri-