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LÉVÊQUE. — l’esthétique musicale en france

peut seul traduire le mot teneramente (avec tendresse), placé au début de ce quatuor. » — « Ajoutons ces indications, multipliées à dessein, de l’auteur à l’exécutant. Ici tout est réglé à l’avance : les accents d’abord accumulés et subdivisés presque dans chaque mesure ; et aussi les caractères et les mouvements, dont les explications ingénieuses entrent dans les nuances de plus en plus intimes, et en quelque sorte philosophiques : « Moderato lusinghiero ; semplice, op.  131. — Appassionato ; intimissimo sentimento, op.  132. — Allegro commodo, op.  127. — Cantato tranquillo ; grave ma non troppo ; tratto, op.  135. — Vivace ma serioso, op.  95, etc. » — « Ce procédé est caractéristique, fait observer M. E. Sauzay. Toutes ces précautions nombreuses, ajoute l’éminent commentateur, ces conseils impérieux du maître sont là pour assurer l’interprétation fidèle, pour donner la clef d’un style profond mais complexe, et qui tend à élargir jusqu’à des horizons inconnus le domaine de l’expression musicale[1]. »

Quoi de plus net ? Toutes ces explications sont philosophiques, c’est-à-dire psychologiques. Ce sont autant de désignations d’états de l’âme, de sentiments, de degrés de sentiments. Pourquoi faire ? Pour assurer l’interprétation fidèle, lisez l’intelligence, la compréhension exacte du style de ces compositions. Et qui donc niera que ces expressions, si variées et si précises dans la nuance, soient des sortes de petits programmes, en jouent le rôle et en produisent l’effet ?

Aussi arrive-t-il que, lorsqu’elles ne suffisent pas tout à fait, le maître, loin de les abandonner, les complète en y joignant ce qui est bien, sous forme de titre, un programme véritable. Il y a dans le quatuor dédié au prince Galitzin, op.  132, un molto adagio dont le thème principal est un plain-chant dans le mode lydien (cinquième ton de l’Église, en fa majeur, sans l’emploi du si bémol).

« Beethoven indique par ce titre : Canzona di ringraziamento in modo lidico, offerta alla Divinità da un guarito, qu’il a pris pour sujet la prière d’actions de grâces d’un convalescent, et, comme on le voit par la phrase, sentendo nuova forza, paraît essayer le retour de ses forces dans l’allegretto qui coupe les variantes de l’adagio. Beethoven composa ce morceau au sortir d’une grave maladie en 1825[2]. Après avoir lu cette courte, mais intime confidence, écoutons le morceau avec une attention recueillie ; Beethoven nous deviendra présent ; la musique discrète du quatuor nous sera comme

  1. Eug. Sauzay, ouvrage cité, page 140.
  2. Même ouvrage, page 148.