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JANET.introduction a la science philosophique

voit que des symboles et des enveloppes sous lesquelles sont cachées des vérités rationnelles. En effet, on comprend que l’on n’admette pas comme venant de Dieu même une doctrine qui renverserait les bases de la raison, qui par conséquent détruirait en moi les principes mêmes à l’aide desquels je puis m’élever jusqu’à Dieu. Mais, si l’on considère les dogmes comme des vérités mystiques trouvées spontanément par l’enthousiasme et par l’imagination, on peut y voir des pressentiments, des prélibations de la vérité divine, sans être obligé de l’accepter comme des vérités littérales et matérielles qu’il faut admettre dans leur texte étroit, quels que soient les inconvénients qui puissent résulter de là pour l’autorité de la raison.

À ce point de vue, il est peu important d’insister sur la différence de ce qui est contraire ou supérieur à la raison, puisqu’on peut toujours supposer que ce qui nous paraît contraire aux lois de la raison tient non pas au fond de la vérité elle-même, mais à la forme sous laquelle elle nous est présentée.

Si nous laissons de côté cette difficulté, il ne nous sera pas aussi indifférent de savoir si les mystères, par cela seul qu’ils sont incompréhensibles, doivent être par là même et dans la rigueur déclarés inintelligibles. Toute la question est là. Les dogmes chrétiens, à titre de mystères, sont-ils à proprement parler des non-sens ? ou ne sont-ce pas des vérités obscures dépassant la portée de l’expérience, mais qui, sous d’apparentes contradictions, contiennent quelque chose de réel et de concret ? Sont-ce des propositions semblables à celles dont parle Stuart Mill : Un Humpty Dumpty est un Abracadabra, l’expression Humpty Dumpty n’ayant aucun sens et celle d’Abracadabra pas davantage ? Dans ce cas, il ne serait pas permis de dire de ces propositions que ce sont des dogmes et des mystères : ce seraient de purs non-sens, des néants de pensée, et ce serait abaisser le principe de la croyance que d’obliger l’esprit à croire à de purs mots qui ne représentent rien, ou qui pourraient même représenter le contraire de ce que l’on voudrait croire, comme, par exemple, substituer le diable à la place du bon Dieu, ou introduire telle superstition qu’on voudrait. Le principe de l’incompréhensibilité des mystères ne peut aller jusque-là : « Je puis, dit Stuart Mill, si j’ai confiance en celui qui me dit cela, je puis croire qu’il dit quelque chose, et même que ce quelque chose est vrai ; mais alors ce n’est pas la chose même qui est l’objet de ma croyance, parce que je ne sais absolument pas ce que c’est. » Dans ce cas, la croyance porte sur la personne et non sur la chose elle-même ; de telles propositions n’auraient rien à voir avec la philosophie. Mais il n’en est pas ainsi. Des mystères ne sont pas des non-sens absolus ; ce ne sont pas