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PAULHAN.l’abstraction et les idées abstraites

gnant une chose concrète est pris dans un sens métaphorique, et que l’on voit le sens primitif s’affaiblir et disparaître. Les exemples de ces transformations abondent chez tous les linguistes[1].

Ces exemples suffisent pour montrer combien est général, combien a été universel l’état d’esprit semi-abstrait dont je m’occupe en ce moment. Toutefois le langage ne nous révèle pas absolument et toujours d’une manière bien claire ce qui se passe dans l’esprit. Évidemment, aux époques de transition, il n’y a pas de doute, quand une métaphore ou une catachrèse est employée pour la première fois, elle ne va généralement pas sans éveiller quelques images concrètes, sans exciter quelques impressions d’ensemble qui conviennent au sens primitif et non au sens dérivé plus abstrait et plus général ; mais il se peut que ce phénomène soit de très courte durée, il se peut que ces images disparaissent vite et que l’abstraction vienne à être complète ou à peu près. Nous examinerons ces cas dans le chapitre suivant ; il nous suffît de reconnaître ici l’universalité au moins relative et temporaire de l’état semi-abstrait.

§ IV.

Ainsi au début d’une conception, au début d’une science, au début de la religion, un état primitif amorphe, moitié concret, moitié abstrait, moitié particulier, moitié général, moitié analytique, moitié synthétique. Peu à peu les notions s’organisent, la représentation devient plus concrète, plus individuelle, plus particulière, mais en même temps ce qui en elle ressemble à d’autres tend à se séparer, à se constituer à part, à s’agglomérer à d’autres états. Ces parties communes deviennent un trait d’union entre divers systèmes psychiques, et nous voyons les divers systèmes psychiques s’associer indirectement l’un à l’autre par le moyen de ces éléments communs, tout en gardant encore leur individualité propre. Mais généralement, quand l’esprit agit, il n’a pas logiquement besoin de tous ces phénomènes accessoires qui viennent particulariser sa conception et surtout des systèmes concrets qui s’éveillent par association indirecte. Il y a, en ce cas, une force psychique dépensée d’une manière relativement incohérente, et l’on pourrait comparer les divers types,

  1. Voyez, par exemple, Bopp, Grammaire comparée ; Pichet, les Origines indo-européennes ; Max Muller ; M. Bréal, Mélanges de mythologie et de linguistique ; Regnaud, Origine et philosophie du langage ; Darmesteter, la Vie des mots ; M. Bréal, l’Histoire des mots (Revue des Deux Mondes, 1887) ; C. Paris, la Vie des mots (Journal des savants, 1887) ; Littré, Histoire de la langue française ; Brachet, Grammaire historique de la langue française ; etc.