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EVELLIN. — la pensée et le réel

Voilà le phénomène dans sa nature vraie, avec les traits essentiels de mobilité passive et d’inertie qui le distinguent. Si l’on pensait que le premier de ces caractères n’a pas été toujours assez fortement établi, on ne saurait avec quelque ombre de vraisemblance contester le second qui suffit amplement à la preuve que nous allons faire.

Le phénomène est inerte. Au sens étroit et rigoureux du terme, c’est un état, et un état ne saurait agir. Comment prêter l’action à un fait sensible, à une douleur ou à un plaisir, à la couleur, à la saveur ou au son ? Tout cela, sans doute, peut donner lieu, le cas échéant, à un déploiement d’activité, mais l’activité, lorsqu’elle jaillit, trouve ailleurs son vrai principe et sa source vive. Seul, à dire vrai, l’être est vivant. Le phénomène est l’immobilité même et la mort. Il ne peut rien produire ni rien porter. Loin de créer l’action, il en résulte. Il commence au moment même où elle expire et en marque le terme en l’exprimant.

Quelquefois, à la vérité, le phénomène est un acte, mais même en ce sens il n’agit pas. Un acte comme tel est agi plutôt qu’il n’agit de sa propre initiative et pour son compte. D’ailleurs comment concevoir l’acte sans quelque principe d’action ? Dans une hypothèse où tout principe semblable est écarté, l’acte lui-même n’a plus de sens, et un phénoménisme conséquent avec lui-même devrait s’interdire d’en parler.

Si tel est le phénomène, — et comment le nier ? — croit-on qu’il suffise à l’explication des choses, et qu’à lui seul il puisse rendre raison d’un monde où tout est mouvement et vie ? Dire qu’il est, dans l’hypothèse, le représentant de l’être, et que, l’ayant absorbé en lui, il en tient la place, ajouter que par suite il est devenu le réel même, c’est déjà, en dissimulant son impuissance, donner un commencement de satisfaction à la loi impérieuse qui nous défend de le poser seul, mais une telle satisfaction n’est que nominale. L’esprit exige davantage et la rejette. Oui ou non, le phénomène posé seul a-t-il hérité, en même temps que du nom, des pouvoirs de l’être, et, dans son nouveau rôle, montre-t-il des vertus et des aptitudes nouvelles ? Vous le niez. Toute explication dès lors devient impossible. Ne parlez plus de nature ni de pensée. Une nature ne se conçoit que par l’action réciproque et le jeu concerté des éléments qui la composent. C’est un organisme animé dont toutes les parties sont solidaires, où tout retentit partout et vibre d’écho en écho à l’infini, où chaque énergie s’impose à la fois et se soumet à des énergies associées et rivales. Qu’est-ce en regard de cette conception justifiée, — que dis-je ! — imposée par les faits, que le monde dont on nous parle et où le phénomène est maître ? Je n’y vois plus qu’états épars, toujours nais-