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JANET.introduction a la science philosophique

Dans le second cas en effet, disait le théologien Caterus, ce qui serait par soi-même, « comme par une cause et se donnerait l’être à soi-même, si par un choix libre et prémédité il se donnait tout ce qu’il voudrait, sans doute qu’il se donnerait toutes choses et, partant, il serait Dieu ». Mais c’est ce qui est impossible : car « Dieu n’est pas par lui-même, comme par une cause, et il ne lui a pas été possible avant qu’il fût de prévoir ce qu’il pourrait être, pour choisir ce qu’il serait après ».

Croit-on que Descartes va se laisser fléchir par ce raisonnement si évident et si accablant ? Eh bien, non ! Il persiste, et il déclare que ces mots être par soi ne doivent pas s’entendre dans un sens négatif, à savoir « n’avoir pas besoin de cause ». Il faut l’entendre au contraire dans un sens positif, c’est-à-dire « être soi-même comme par une cause » ; et cette cause est « l’immense et incompréhensible puissance qui est contenue dans son idée… puissance si pleine et si abondante qu’en effet elle soit la vraie cause pourquoi il est, et il ne peut y avoir d’autre cause que celle-là ». Sans doute il n’est pas nécessaire d’aller jusqu’à dire que Dieu est la cause efficiente de lui-même, de peur que peut-être on n’entre en dispute de mots, néanmoins, parce que nous voyons « que ce qui fait qu’il est par soi ou qu’il n’a pas de cause différente de lui-même ne procède pas du néant, mais de la réelle et véritable immensité de sa puissance, il nous est loisible de penser qu’il fait en quelque façon la même chose à l’égard de soi-même que la cause efficiente à l’égard de son effet, et partant qu’il est par soi-même positivement ». Tels sont les propres mots de Descartes en réponse à Caterus.

Cette réponse de Descartes ne satisfit point Arnauld. Il reprit les objections de Caterus, et insista de nouveau en disant qu’ « on ne peut concevoir sans absurdité qu’une chose reçoive l’être, et néanmoins que cette même chose ait l’être auparavant que nous ayons conçu qu’elle l’avait reçu. Or cela arriverait si nous attribuions les notions de cause et d’effet à une même chose au regard de soi-même. Car quelle est la notion d’une cause ? Donner l’être. Quelle est la notion d’un effet ? Le recevoir. Or la notion de la cause précède naturellement la notion de l’effet. » Il ajoutait : « Personne ne peut donner ce qu’il n’a pas, donc personne ne peut donner l’être que celui qui l’a déjà : pourquoi se le donnerait-il ? On ne saurait donc concevoir que Dieu soit par soi positivement, comme s’il s’était lui-même produit ; car il aurait été déjà auparavant que d’être. »

Ces objections pressantes donnent bien à la doctrine de Descartes leur vrai caractère. Il s’agit bien de savoir si Dieu est la cause de son propre être, s’il s’est produit lui-même, s’il s’est engendré lui-