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idée, tel fait historique, telle date, fait revivre immédiatement dans l’esprit la circonstance qui a été autrefois son origine, sa cause ou un de ses accompagnements. C’est ainsi que la date de la mort du duc d’Orléans ramène irrésistiblement dans mon esprit la vue du port de Rouen et de l’endroit de ce port où j’appris cette nouvelle en me promenant avec mon père. On peut dire en réalité que les souvenirs d’enfance, quand ils sont fortement ravivés, mettent en jeu tous les centres encéphaliques, car il n’y a peut-être pas un de ces centres qui n’ait un résidu provenant de cette époque de notre vie. De là le bouleversement qui se produit en nous, et le chaos cérébral qui résulte de l’excitation simultanée de tous ces centres ; de là le retentissement de cette excitation sur tout l’organisme, tout le système nerveux se trouvant peu à peu envahi par l’excitation, car c’est une loi en physiologie nerveuse que dès qu’un centre nerveux est fortement excité, l’excitation s’irradie aux centres voisins.

En résumé, l’élément moral de la douleur a son origine dans les centres psychiques, et l’état dans lequel ces centres sont placés par la cause directe qui a agi sur eux réagit à son tour sur les autres centres, centres sensitifs, centres moteurs, pour éveiller l’élément physique et les manifestations expressives de la douleur.

Cet élément moral de la douleur peut avoir son point de départ, comme nous l’avons vu, soit dans les émotions, ce qui est le cas le plus commun, soit dans les centres intellectuels, ce qui est le cas le plus rare, et, d’une façon générale, les réactions des douleurs émotives sont beaucoup plus intenses et plus violentes que les réactions des douleurs purement intellectuelles. L’amour, sous toutes ses formes, la jalousie, les passions de toutes sortes font bien autrement de victimes que l’idée du devoir, le sentiment du beau ou la recherche de la vérité.

Si, comme on vient de le voir, il n’y a pas, entre la douleur physique et la douleur morale, la différence de nature généralement admise, il ne s’ensuit pas qu’il n’y ait des caractères qui les distinguent l’une de l’autre, à part même la prédominance de tel ou tel élément.

Ces caractères sont les suivants :

1o En premier lieu, la cause diffère en général. La cause immédiate de la douleur morale est une émotion, une idée, un souvenir. La cause immédiate de la douleur physique est une altération de l’activité nerveuse par une cause extérieure ou organique. Mais cette loi générale souffre de nombreuses exceptions. Une cause morale, la tension d’esprit, la suggestion, peuvent déterminer d’emblée une douleur physique ; une piqûre légère à peine douloureuse pourra